Saltimbanques (2) - Renwyck

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La pluie cessa progressivement alors qu'ils gagnaient le faîte de la colline. Dans les ténèbres, ils découvrirent qu'ils se tenaient au milieu d'un cimetière. Tout autour d'eux se dressaient les formes fantomatiques de lanternes mortuaires brisées ou renversées. Un peu plus loin, une ombre massive obscurcissait la nuit : les ruines de la chapelle. Cet endroit était ancien. Les nuages se desserrèrent quelque peu et une lumière ténue et blafarde suinta par les interstices pour éclairer la plaine. Renwyck fut saisi d'horreur. Il avait compté sur la pluie et l'obscurité pour couvrir leur fuite. À présent qu'une certaine clarté nocturne s'installait, ils se trouvaient au sommet de la colline plus exposés que partout ailleurs. Arashi était arrivé à la même conclusion que lui.

— La chapelle, souffla-t-il avec empressement. Hâtons-nous d'en faire le tour, elle nous masquera aux yeux des gardes. Nous pourrons ensuite descendre l'autre versant pour rejoindre la rive du fleuve sans être vus.

Renwyck s'empressa de le suivre à travers le cimetière, non sans malaise. Il n'aimait pas beaucoup les jardins aux morts. Celui de Rivebois lui avait toujours semblé murmurer avec mélancolie. Ce soir-là, le chant lugubre du vent dans les pierres sonnait tel le chœur de milliers de voix englouties. De l'autre côté, la pente s'enfonçait dans l'obscurité jusqu'à un bois dense. Par-delà, on devinait la forme sombre de l'Hellibe, à une ou deux lieux tout au plus. Soudain, Arashi s'arrêta net, sans prévenir, et saisit fermement l'avant-bras de Renwyck pour l'inviter à faire de même. À quelques pas de là, une silhouette encapuchonnée était assise sur une grosse lanterne brisée. Ils n'en distinguaient pas plus, mais l'inconnu leur faisait face et les avait probablement vus.

Renwyck sut aussitôt qu'il y avait quelque chose d'anormal avec cet individu. De la même façon qu'il pouvait percevoir qu'Arashi était connecté aux Toiles, il sentait quelque chose sans parvenir à le définir. Ses mains étaient moites, des sueurs froides lui glissaient le long de l'échine. Le pendentif d'ambre de ses parents semblait très chaud sur sa peau. Il se rendit compte qu'il avait peur. Terriblement peur.

Lentement, la silhouette se redressa et se mit debout. À en juger par sa stature, il devait s'agir d'un homme. Une lourde cape de voyage masquait son corps. Dans les ombres de la nuit, son visage était englouti sous un profond capuchon.

— Qui va là ? l'interpela Arashi, non sans nervosité.

— Qui va là ? répéta l'homme.

Était-ce seulement un homme ? La voix qui avait prononcé ces mots était horrible, inhumaine. Elle semblait arrachée de force à une gorge tranchée, dans un gargouillis immonde.

— Qui êtes-vous ? demanda de nouveau Arashi et Renwyck sentit la peur gagner son compagnon.

— Qui je suis ? répéta lentement l'inconnu, détaillant méticuleusement chaque mot avec un bouillonnement de colère. Qui je suis ? Je suis LiUarn. Je suis LiUarn ! LIUARN ! Je suis LiUarn. LiUarn. LiUarn. JE SUIS LIUARN ! JE SUIS LIUARN !

L'homme scandait ces paroles tel un mantra. La situation aurait pu se révéler comique s'ils n'avaient perçu dans l'horrible voix une rage intense et folle. Le dénommé LiUarn se dirigea vers eux à grands pas, en proie à une vive agitation. D'un geste, il jeta sa cape au sol avec violence. À la lueur d'un rayon de lune, ils le virent tel qu'il était. Un effroi glacial s'empara de Renwyck, une peur viscérale. Son ventre se tordit comme un serpent gelé.

Devant eux se dressait non pas un homme, mais une créature décharnée, un cadavre calciné. Par endroits, il ne restait que des os carbonisés, noircis comme le charbon, recouverts çà et là de lambeau de tissu indéterminé. À d'autres, et notamment sur son visage, il subsistait des restes de chair brûlée, craquelée, prête à tomber en cendre. Mais le pire était ses yeux intacts. Enfoncés dans des orbites décharnées, injectés de sang, on y lisait une folie violente et bestiale.

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant