L'Herboriste - Les Thaumaturges I

Saltimbanques (4) - Niédar

Devant lui, les Plaines du Croissant, d'immenses prairies aux herbes d'un vert brillant, humides d'averses passagères, où surgissaient des ruines d'un autre âge. Des colonnes effondrées y côtoyaient des arches et des blocs de pierre dévorés par la mousse et les buissons.

    Tandis qu'il avançait d'un pas rapide, Niédar se retenait de considérer toute son aventure en Nouvelle-Aranée comme un échec. Pourtant, le résultat était là : il retournait à Hywellwan, les mains vides. Il avait bien trouvé une tombe, mais à l'intérieur ne l'attendaient que de vieux ossements et une amère déception. Il avait fait fausse route.

    Derrière lui, les deux Aranéens se calaient sur sa foulée. Niédar leur imposait une marche plus rapide que jamais. Voulait-il se débarrasser d'eux ? Il s'autorisa à réfléchir à cette question. Il n'avait plus besoin de guides autochtones pour traverser une nation étrangère. Niédar arpentait les routes du Tso depuis son exil. Il connaissait la capitale, y avait séjourné un long moment pour y trouver des contrats et exercer son emploi de lame à vendre. Il n'avait pas besoin d'une escorte. D'un autre côté, les routes pouvaient être dangereuses. À trois, ils présentaient une cible à laquelle peu s'attaqueraient.

    Niédar n'avait pas oublié que les habitants du village de Zannen l'avaient soigné à sa sortie de la Forteresse Hantée. Il n'avait pas oublié non plus qu'il avait promis quarante drachmes d'or à Tys'Naïa et Naarn pour leur escorte depuis Kordo. Autrefois, rembourser de telles dettes aurait été une question d'honneur. Maintenant...

    Ce qui comptait, c'était la mort du Brise-Lame.

    De nouveaux nuages de pluie arrivaient de l'ouest. Loin devant eux, quelques ruines leur fourniraient un abri pour la nuit, mais ne les protégeraient guère en cas d'orage. Mieux valait se préparer à cette éventualité.

    Niédar accéléra le pas. Dans quelques jours, ils arriveraient à Hywellwan.

*

    Le voyage s'avéra maussade et source de tensions entre les trois Elfes. Le mauvais temps les harcela, jour après jour. De violents orages les forcèrent à s'arrêter pendant des heures dans des refuges de fortune trouvés dans les plaines, surtout lorsque la foudre menaçait de s'abattre sur eux. Le plus souvent, de fortes pluies détrempaient leurs vêtements et leur équipement. Leurs arcs et flèches devenaient inutilisables, d'autant que la visibilité était mauvaise. Dans de telles conditions, trouver de la nourriture était ardu. Allumer un feu se transformait en exploit.

    Le petit groupe se vit obligé de changer d'itinéraire. Continuer tout droit vers Hywellwan était le chemin le plus rapide, mais ils avaient besoin de ravitaillement. Ils rejoignirent donc la grand route marchande qui descendait d'Ael et traversait le Tso selon un axe nord-sud. Une pluie fine et persistante semblait déterminée à ne pas les lâcher. Quand une trouée apparaissait dans le plafond de nuages grisâtres, elle disparaissait bien trop vite pour laisser le soleil les réchauffer et sécher leurs vêtements.

    Niédar avait remarqué une mésentente grandissante entre Tys'Naïa et son frère. Il sentait que ce dernier aurait préféré cesser la « chasse à la licorne » et rentrer dans son petit village primitif. Les deux Aranéens s'échangeaient de courtes remarques dans leur dialecte infâme, trop vite et trop bas pour que Niédar ne pût les comprendre. Que fallait-il y voir ? Une trahison à venir ? Ces deux sous-Elfes allaient-ils l'agresser, le voler et repartir dans leur pays peuplé d'abominations mortes-vivantes ? Non. Non. Ça ne tenait pas debout. Peut-être Naarn obligerait-il sa sœur à faire demi-tour. Ça, c'était plus probable. Le jeune homme n'avait-il pas compris qu'il était un barreau de plus à la cage de Tys'Naïa ? Celle-ci se débattait de toutes ses forces pour échapper à sa famille, à son village. Niédar comprenait. Lui aussi s'était débarrassé des carcans imposés par ses parents et avait trouvé sa voie parmi les Grachéens. Tys'Naïa était une femme déterminée, une chasseresse, non, une guerrière ! Elle valait peut-être mieux que son minuscule hameau boueux.