Saltimbanques (7) - Aiwe

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La porte de l'herboristerie s'ouvrit dans un grand fracas, renversant le balai qui avait été négligemment appuyé contre le ventail en attendant d'être rangé à sa place.

    — Aiwe ! Tu as entendu ce qu'a dit le colporteur ?

    Aiwe se tourna vers la personne qui venait d'entrer en trombe dans son atelier, au mépris de la politesse usuelle. Brunhilde se tenait sur son seuil, contemplant le balai assassiné, un peu surprise de le trouver par terre. Ses beaux cheveux teintés de poivre et sel se rebiffaient et sortaient de leur natte qui avait dû être précise quelques heures auparavant.

    — Non, répondit Aiwe avec un sourire, mais je pense que je vais le découvrir rapidement.

    — Un peu ! s'exclama son amie.

    La paysanne enjamba le balai et se débarrassa de son fichu beige qui lui couvrait les épaules. Tandis qu'elle cherchait un endroit où s'asseoir, elle dut se rendre compte de son attitude cavalière.

    — Pardon, tu étais peut-être occupée... dit-elle en se mordant la lèvre.

    Aiwe rit franchement. Si elle appréciait tant Brunhilde, c'était parce que son amie avait su garder une attitude fraîche et spontanée. En dépit des difficultés qu'elle affrontait tous les jours, elle souriait à l'avenir et se réjouissait sincèrement de tout.

    — Je préparais mon déjeuner, répondit l'herboriste. Je peux sans doute en faire assez pour deux si tu restes avec moi.

    — Oh oui ! Enfin, si ça ne te dérange pas. Je n'ai rien avalé ce matin.

    Brunhilde avait lâché cette information rapidement, comme si ce repas manqué avait été la conséquence d'une matinée bien remplie. Aiwe sut lire entre les lignes. Il n'y avait pas eu assez pour tout le monde au petit-déjeuner dans la maison de Brunhilde.

    Aiwe retourna à son établi où elle finit d'éplucher et de découper les légumes qu'elle jetterait dans son bouillon. Elle rajouta à ses préparations des morceaux de volaille achetés à un fermier du village. Il y avait de quoi manger pour plus de deux personnes. Ce n'était pas une mauvaise chose. S'il y avait des restes, Brunhilde accepterait sans doute de repartir avec. L'herboriste agrémenta sa préparation de persil et de poivre, pour parfumer le tout.

    Une sensation étrange lui occupait l'esprit depuis le début de la matinée. C'était comme si l'air était chargé d'électricité. Pourtant, aucun nuage d'orage ne menaçait dans le ciel, et au fond, cette sensation n'avait rien de désagréable. Elle lui rappelait quelque chose d'ancien, mais son esprit ne parvenait pas à le définir. Aiwe était contente d'avoir de la compagnie pour ne pas trop y penser.

            — Comment vont tes filles ? demanda-t-elle tandis qu'elle découpait deux épaisses tranches de pain.

            Brunhilde poussa un long soupir d'exaspération alors qu'elle s'asseyait sur l'établi à côté de son amie.

    — Ce sont des chipies. Lina ne fait que courir après les garçons, les jumelles sont des paresseuses et Svanhilde est une sauvageonne. Je ne sais pas ce que j'ai fait au Père de Lumière pour qu'il me donne cette meute de louves.

            — Même Alla ?

    Brunhilde eut un sourire attendri tandis qu'elle piquait un petit morceau de carotte abandonné.

            — Non, Alla est un trésor. J'espère qu'elle fera un beau mariage, qu'elle s'en sortira, tu sais.

            Aiwe rinça le petit chaudron dont elle allait se servir.

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant