Saltimbanques (9) - Niédar

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Sidéré, Niédar assista à une discussion passionnée d'historiens amateurs entre Naarn et Celeroth tandis que celui-ci se munissait de gants pour retirer d'une vitrine quatre gros volumes reliés de cuir craquelé. Ils cherchèrent tous les deux le registre qui concernait la bonne période historique.

    — Alors l'Exil, réfléchit à haute voix le collectionneur. 572, 573 ?

    De quoi parlaient-ils ? L'Exil ? Niédar mit un certain temps à comprendre qu'il s'agissait de la fin des guerres civiles iwisiennes. La province d'Aranée, dans le nord-est d'Iwis, avait été rasée pour mater les rébellions et ses habitants survivants s'étaient enfuis en Nouvelle-Aranée où ils possédaient un comptoir : Drakwan. Ces moins-que-rien, ces infidèles à la Couronne d'Iwis, c'étaient les ancêtres de Tys'Naïa et Naarn.

    Celeroth examinait les premières pages de chaque volume et il finit par se pencher sur l'un d'entre eux.

    — Là, dit-il. Tenez, prenez mes gants. Si vous tournez les pages, vous allez finir par trouver les bonnes années. Je vous laisse chercher, je dois malheureusement vous laisser quelque temps pour conclure une vente. Je reviens.

    Celeroth prit congé de Niédar et de ses compagnons, les confiant aux bons soins d'un des jeunes serviteurs qu'ils avaient aperçus auparavant. Sans tarder, Naarn se mit au travail. Par-dessus son épaule, Niédar vit des colonnes d'entrées datées, parfois avec une description. D'autres colonnes mentionnaient des entrées et sorties d'argent.

    — Que cherches-tu ? interrogea Niédar.

    Tys'Naïa répondit pour son frère :

    — Quand les Grachéens sont venus récupérer le... la relique, ils ont dû dépenser beaucoup d'argent pour le voyage. Ces frais doivent bien apparaître quelque part.

    Niédar hocha la tête, il aurait dû y penser. Il observa la pièce tout autour d'eux. Le serviteur s'était positionné près de la porte. Assis sur une chaise, il brossait les chaussures de son maître. De là où il était, il pouvait surveiller Niédar et les Aranéens. À voix très basse, Niédar prévint ceux-ci :

    — Il est possible que Celeroth soit en train de s'arranger pour nous faire suivre.

    Naarn hocha très légèrement la tête pour montrer qu'il avait entendu. Il continuait de parcourir les pages avec attention. Après de longues recherches, il finit par faire signe qu'il avait trouvé quelque chose. Son doigt était arrêté en haut d'une page.

    — Lis ! lui intima Tys'Naïa.

    — Septième jour du deuxième mois, déchiffra Naarn avec une excitation grandissante, an 573. Une grosse somme de lires iwisiennes. Dans la description, il est juste écrit « Drakwan ». Je pense que nous l'avons trouvé.

    — Et dans les suivantes ? demanda Niédar avec impatience.

    — Des mouvements ordinaires, des dépenses triviales ou logistiques. Elles ne sont pas toujours précisées. Attendez.

    Un silence. Naarn reprit, intrigué :

    — Douzième jour du troisième mois, à nouveau une somme importante. Il y a juste écrit « cérémonie citerne ».

    — C'est une lubie grachéenne de faire des célébrations dans des endroits bizarres ? demanda Tys'Naïa.

    Niédar secoua la tête, agacé par la remarque. Il réfléchissait. Entre l'entrée sur Drakwan et celle sur la citerne, les Grachéens avaient eu le temps de rapatrier la dépouille de Grachéos. Ils avaient dû chercher un endroit où l'enterrer, un endroit accessible, mais seulement par eux-mêmes. Niédar connaissait bien Hywellwan : il y avait d'anciennes citernes désaffectées dans le centre-ville. L'une d'entre elles avait été reconvertie en lieu de stockage pour certains produits périssables. D'autres n'étaient plus accessibles, ou en tout cas pas par le tout-venant. Peut-être leur emplacement coïncidait-il avec d'anciens bâtiments de l'ordre ?

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant