Prologue

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J'attendais depuis déjà une vingtaine de minutes, lorsque enfin la lumière s'éteignit. La porte s'ouvrit alors en grand sur Georges, l'un des gardes de nuit. Accroupie sous la table, la main sur la bouche afin de calmer ma respiration, je le vis traverser la petite pièce qui séparait l'arrière-cour des cuisines. J'attendis encore deux minutes de plus. Puis Je m'assurais qu'il n'y avait plus personne, avant de sortir de ma cachette, mes sabots à la main et la clé de la porte de l'autre. Je m'avançais prudemment vers la grande porte en bois, abimée par le temps mais qui tenait bon malgré tout face au vent d'hiver. Alors que je la refermais, un courant d'air frais glacial s'engouffra sous mes vêtements. J'avais la chance de posséder un manteau mais malheureusement, je n'avais pas pu le prendre avant de partir du dortoir, si bien que je ne portais qu'une robe de chambre ainsi qu'un fin gilet que m'avait offert Lady Marguerite il y a de cela bien longtemps. Qu'importe, il avait arrêté de neiger depuis déjà deux semaines, et bien que la nuit s'annonça fraîche et venteuse, la route jusqu'à "Chez Lizon" ne me prenait généralement qu'une quinzaine de minutes.

Sur le chemin du trajet, je repensais à Georges. Petit et trapu, il avait toutefois un charme bien à lui, sûrement explicable par son beau sourire. Ce dernier avait pour habitude d'être assez à cheval sur les horaires, mais avait pourtant quitté son poste plus tard qu'a son habitude. Il effectuait en effet généralement deux à trois rondes dans la nuit. Avait-il déjà appris qu'il était cocu ? J'aurais sûrement dû le plaindre, mais à vrai dire il fallait s'y attendre. J'avais beau énormément apprécier Suzie, cette dernière avait la fâcheuse habitude de jouer sur plusieurs tableaux. Les rumeurs à son sujet la devançaient et j'étais à peu près sûre qu'elles étaient parvenues aux oreilles de Georges bien avant qu'ils ne deviennent amants. Mais comme tant d'autres avant lui, il avait préféré les ignorer. Tant pis pour lui, surtout si cela venait à affecter son travail. Toutefois, si jamais quelqu'un d'autre que moi venait à s'en rendre compte, nombreux seraient ceux qui se jetteraient sur ce poste tant convoité.

Alors que je ruminais encore sur ce sujet et les conséquences d'un tel changement sur mes escapades nocturnes, j'aperçus l'enseigne délabrée de "Chez Lizon". A première vue, la façade de la bâtisse était semblable à celles de ses voisines : abandonnée aux intempéries du temps, l'entrée barricadée avec des planches de bois moisies , les vitres brisées laissant passer la pluie comme la neige ; sans parler des rongeurs qui avaient entrepris d'élire domicile dans les vitrines. Très loin d'être accueillant. Pourtant, à une époque, cette structure insalubre avait était un restaurant de grand renom, et malgré l'état dans lequel il demeurait désormais, le style architectural témoignait de sa grandeur passée.

J'avançais rapidement dans la ruelle adjacente, pressée de me mettre au chaud. La rue se terminait par un cul de sac, en faisant donc une impasse, mais je continuais tout droit, sans réellement m'en préoccuper. Alors que le mur se rapprochait dangereusement, je me mis cette fois à courir. Plus qu'un mètre et je finirais écrabouillée contre la paroi dure en brique. Mais alors que  mon nez allait rentrer en contact avec la surface du mur, je me mis soudain à léviter au-dessus du sol. D'abord lentement, puis soudain avec une telle force que l'on aurait cru qu'une main invisible me tractait jusqu'au toit. Par habitude, j'atterris en roulade sur les tuiles du toit, déchirant au passage le bas de ma robe de chambre. Je me fis la réflexion qu'il faudrait la recoudre avant de rentrer au manoir, au risque d'alerter mes "collègues" de mes sorties nocturnes, évidemment interdites.

Les premières fois où j'avais emprunté ce passage, j'étais une enfant, curieuse et émerveillée, si bien que j'avais eu l'impression que je volais. Mais maintenant ce tour de passe-passe ne m'impressionnait plus, et je savais que ce n'était qu'un système de propulsion par enali, et non pas de la vraie "magie". Bien entendu, la magie n'existait que dans les temps anciens, et ces derniers étaient révolus depuis bien longtemps. Cependant l'enali  était une combustion d'éléments si complexes et microscopiques, qu'il fallait bien admettre qu'avoir la capacité de les assembler à sa guise relevait presque de la magie. Mais rien d'impossible pour les plus téméraires des scientifiques de notre temps. L'enali  était maintenant répandu dans la majorité du royaume, si bien que ce genre de système n'était plus un mystère pour personne, même moi, une simple servante n'ayant pas reçu d'éducation.

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⏰ Last updated: Feb 22, 2021 ⏰

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Un Tandem dans la nuitWhere stories live. Discover now