C’est le nombre de chiots que Belle mit bas et la température dans l’étable.
Elle avait été saillie sur le chemin enneigé qui conduit de la ferme à 1294 m d’altitude à la route à 1210 m. Un beau labrador noir l’avait séduite, alors que nous descendions à ski pour rejoindre la voiture. Arrivés au parking, nous avons rencontré les propriétaires du mâle et attendu avec eux, que les amoureux aient fit leur petit commerce...
Deux mois et quelques jours plus tard, Belle fut surprise de déposer dans la rigole de l’étable ce qu’elle crut être une crotte !Mais quand elle s’aperçut que cela bougeait et qu’elle sentit une chaleur, elle s’empressa de l’emmener dans le nid qu’elle avait préparé avec soin.
Et ce fut le premier d’une série de treize...
qu’il fallut abattre l’un après l’autre, bien à contre-coeur. Au reproche : «T’aurais pas dû les tuer !», je répondais : «T’en aurais pris combien ?» Nous lui en laissons deux, espérant pouvoir les placer. Et au matin : le treizième. Celui-là, nous le lui laissions. Nous étions touchés par ces heureux événements et surpris par toute l’attention qu’elle leur portait. Pendant deux semaines, elle ne nous accompagna plus en balade, ne pouvant pas se résoudre à quitter le nid. Même plus : elle n’eut cure de notre peur que les petits aient froid quand nous les amenions à la cuisine, bien au chaud. A peine nous les avions déposés, elle accourait et les ramenait dans le nid glacial un par un dans sa gueule. Une mère très maternelle...
Après un mois, elle les amena elle-même dans la cuisine chauffée. Ils y retrouvaient le petit chat que j’avais ramené de la plaine. Noir comme eux, ils se grimpaient les uns sur les autres, se léchaient et faisaient des roulades... pendant des heures pour notre plus grand plaisir !
Quand Belle recommença à sortir avec nous, elle tenait à peine sur ses pattes, affaiblie et amaigrie par sa lactation. Elle prenait pourtant soin de tracer un chemin dans la neige pour faciliter les déplacements de ses petits; elle les attendait et ils suivaient docilement, bien que se trouvant soudain dans un environ-nement inconnu.
A trois mois, nous pourrons laisser partir la progéniture. Encore fallait-il trouver preneur pour les trois lascars. Nos trois démarches ont abouti : une affiche devant la ferme attira un jeune couple genevois, qui l’adopta; une affiche à l’épicerie du village et un article dans Terre et Nature qui intéressèrent deux bergers d’alpage de la région.
Elle fut à la fois dérangée par le départ de sa progéniture et délivrée de ses contraintes de mère. Elle reprit du poil de la bête et continua de jouer avec le petit chat - noir lui aussi - qui venait de la rejoindre.
Elle avait aussi hérité de son père un caractère particulièrement agressif. Elle en a mordu plus d’un. La première victime fut mon fils aîné. Elle lui pinça le coude, alors qu’elle rongeait un os et qu’il voulait la caresser...
La seconde ne fut personne d’autre que le curé, entré dans le jardin. Il s‘en tira avec une morsure dans sa serviette, qu’il tenait devant lui pour se protéger.
La troisième fut le vétérinaire. Elle lui sauta par derrière et le mordit à l’épaule.
La quatrième victime ne fut autre que le gérant des immeubles de l’Etat. Il venait vérifier la bienfacture des réparations opérées avant notre arrivée. Je l’accompagnais dehors pour prendre des photos, lorsque le téléphone sonna. Je rentrai précipitamment pour répondre. Lorsqu’il voulut me rejoindre, Belle ne l’entendit pas de cette oreille; elle le mordit au coude, ce qui entraîna une facture de 450 francs pour la veste en cuir de Monsieur.
Son dernier haut fait eut lieu à la ferme, un après-midi où nous faisions la sieste. La chienne aboya, comme à chaque fois que quelqu’un approchait du chalet. Puis tout-à-coup, plus rien. Jusqu’au lendemain, où le patron monta nous montrer la lettre qu’il venait de recevoir du municipal des alpages, en tournée d’inspection la veille. Il se plaignait de «l’attaque d’un chien vicieux», qui l’a «mordu aux parties», avec «un bleu sur une couille et une griffure sur le gland»... Nous avons bien rigolé, nous sommes excusés et tout en est resté là.
Cette chienne nous a bien protégés. Elle était obéissante et intelligente. En plus, elle avait le sens de l’orientation.
Lors d’une absence d’une quinzaine, nous l’avions confiée à son ancien propriétaire, à une dizaine de kilomètres. La voisine qui s’occupait du chat la trouva un matin couchée sur le paillasson, devant notre porte. - Qu’est-ce que tu fais là ? Elle se souvint où nous l’avions placée et leur téléphona. : - On l’a fait sortir pour ses besoins, on regardait la télé. Quand elle aboya pour rentrer, on l’a laissé attendre jusqu’à la fin film... On vient la chercher !
Elle a bien vécu jusqu’à quinze ans. Devenue infirme, nous avons dû la faire piquer.