Mission décisive

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Du sol d'Europe, une fumée s'élevait.

Bien évidemment, si un vaisseau de plaisance était passé par là, survolant de loin le satellite, il ne l'aurait pas aperçu. Ou alors, si ce vaisseau se révélait être l'exception qui confirme la règle, en étant doté, par exemple, d'un capitaine à l'œil aussi précis que le plus précis des télescopes, il l'eut tout simplement ignoré. Après tout, qu'est-ce qu'un vulgaire petit filet de fumée s'élevant vers le ciel ? Une simple broutille, quand on a sur soi le poids de la vie et du confort de milliers de riches voyageurs galactiques.

Et puis, même s'il y avait une infime chance qu'un vaisseau quelconque, autre qu'un de ses ramassis de filous, de voyous et de pirates de l'espace, passe près d'Europe, ce serait sans aucun doute à la suite d'une malencontreuse confusion dans son itinéraire de voyage, car personne ne s'aventurait jamais aux alentours de Jupiter, à l'exception de la caste citée plus haut.

Cependant, en s'approchant suffisamment, on eut pu observer que le « vulgaire petit filet de fumée » n'était pas si insignifiant que cela. En effet, il s'échappait des moteurs d'un imposant vaisseau. Le terme « imposant » serait ici utilisé uniquement pour glorifier la taille de l'engin, car son état, en revanche, n'avait rien qui force le respect : c'était une carcasse, tout simplement. Son blindage avait cédé, dévoilant son squelette d'acier et ses veines de cuivres ; les rares hublots qui perçaient la cuirasse de l'engin avaient eux aussi explosé, tailladant le vaisseau de nombreux morceaux de verre ; la noirceur intérieure semblait annoncer une sérieuse défaillance du système électronique ; et enfin, les moteurs étaient totalement hors d'usage, comme le démontrait cette fameuse nuée de cendres.

De plus, le nez du vaisseau plongeait profondément dans le sol de glace, bien que celui-ci soit extrêmement résistant. C'était, à n'en pas douter, un bien triste atterrissage qu'avait essuyé ce vaisseau.

— Maudit ! Maudit, maudit, maudit crash ! Tu as bousillé mon vaisseau !

Et dans le langage des pilotes, aguerris ou non, on appelait effectivement ce type d'accident un « crash ». Pourtant, la personne qui venait de prononcer ces mots n'avait en rien l'attitude d'un pilote, fût-il de bas étages : c'était une jeune fille, certainement un des membres de l'équipage, qui s'appliquait à flanquer de grands coups de pieds dans les flancs de l'engin.

Mais bon, chacun a sa manière d'évacuer la frustration.

Annabeth, car tel était son nom, finit par se lasser de son jeu, et se laissa glisser le long de la carcasse d'acier en soupirant :

— En plus, à cause du champ magnétique d'Europe, tous les appareils sont H.S. Nous sommes coupés du monde. Cette mission s'avère être de moins en moins plaisante.

— Rien ne sert de t'énerver ainsi, ça n'arrangera pas la situation. Je tiens aussi à signaler que j'avais annoncé être le plus apte de nous deux à piloter ce vaisseau. Tu aurais dû m'écouter.

Irritée, la jeune fille se tourna vers Ugo, son coéquipier, qui venait de la rejoindre à l'extérieur de la machine.

« Ces agents de la Congrégation sont si sûrs d'eux. » Pensa-t-elle.

— Sache que tes paroles pourraient se révéler insultantes, sous-officier, et qu'il serait mauvais pour ton grade inférieur de rabaisser une prêtresse de l'Ordre de Sin telle que moi. Tâche de t'en souvenir.

— Veuillez accepter mes plus plates excuses, Madame, lui répondit Ugo en s'inclinant plus bas que terre, un petit sourire au coin des lèvres.

Sans prêter attention à son ton ironique, Annabeth se remit à soupirer, les yeux fermés :

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