Conte : l'ogresse et la domestique

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I/Gaëlle

Il était une fois une petite domestique âgée d'à peine dix hivers. Elle possédait deux iris de couleurs différentes. L'un était d'un bleu perçant, l'autre sombre comme la cendre. Ses mystérieuses yeux étaient dissimulées sous d'épaisses boucles noires, dont leurs pointes touchaient presque ses épaules. Ces dernières contrastaient magnifiquement avec son teint pâle, résultat de ses journées épuisantes.

Comme tous les matins, la petite domestique escaladait les escaliers étroits et sales des valets, soubrettes, et caméristes du grand château des sorcières. La forteresse était immense, somptueux et tout à la fois effrayant. Ces magnificences n'étaient qu'un voile, couvrant les innombrables vols et crimes, que les maléfiques enchanteresses commettaient avec une gourmandise non dissimulée. Alors les tapisseries d'or et de carmin, les fauteuils de velours, et les colliers de perles devenaient source de dégoût et d'horreur pour tous étrangers.

Comme tous les matins, la petite domestique avait les bras plein d'un gros plateau d'argent. La grosse cuisinière, au nez crochu, y avait déposé une montagne de confiseries, et l'avait menacé de ne pas y toucher sous peine de recevoir un coup de casserole sur la tête.

Malheureusement, le parfum alléchant des friandises faisait gronder son ventre. La petite domestique avait faim, et pourtant elle n'avait pas le droit de céder à l'exquise tentation. Elle aurait voulu pouvoir n'en prendre qu'un seul, après tout personne ne le remarquerait. Mais elle se connaissait trop bien, elle savait qu'elle ne pourrait pas s'arrêter après en avoir dégusté un.

Alors, la petite domestique se résigna, et se pressa d'amener ces gourmandises aux sorcières, pour faire cesser les grondements de son ventre.

Les sorcières étaient aussi laides que leur demeure était fastueuse. Elles se peignaient exagérément le visage avec des couleurs vertes et bistres, leurs rides et pustules ressortant comme une araignée au plafond. Le résultat final s'apparentait davantage à une peinture d'enfant qu'à un somptueux portrait de nymphe. D'ailleurs, la plupart des laquais et soubrettes étaient effrayés de leur monstrueux aspect. Les plus jeunes d'entre eux se plaignaient de cauchemars incessants. Ce fut pour cette raison que la petite domestique ne s'attardait pas plus de quelques secondes dans un salon du château.

Ces petites comédies déployaient les rires goulues des sorcières. Des rires que même les murs s'obstinaient à boucher leurs oreilles.

Et ce matin, comme tous ceux qui les avaient précédés,la petite domestiqueavait la gorge serrée et le nez qui coulait. Elle avait attrapé froid, à force de traverser ces escaliers où le froid du dehors passait au travers des pierres. Mais ce n'était pas pour cela qu'elle se sentait aussi morose et triste.

Elle pensait tendrement à sa famille, qui n'était plus que des souvenirs allègres.Se souvenir de cette existence révolue lui permettait de se sentir encore vivante, l'esprit encore bouillant dans son corps morcelé. L'unique chose qu'elle avait réussi à garder de son ancienne vie prospère était un luisant verre de besicles.Dernier objet qu'elle avait fait de ses mains dans l'atelier de son père, inventeur ingénu.

Son père avait toujours de farfelu idées, et de projets en tête, il ne s'ennuyait jamais. Il lui laissait souvent l'accès à son tout petit atelier aménagé et pendant plusieurs heures, elle s'amusait à assembler engrenages et pièces afin de construire une babiole, sorti tout droit de son imaginaire.

Cette vie de luxure et de réjouissance lui paraissait si lointaine. Si lointaine que parfois la petite domestique se demandait si elle n'avait pas rêvé de cette enfance-là. Du fond de ses paupières pâles, elle se remémorait quelques images de sa première défunte enfance.

۰۪۫L۪۫۰۰۪۫a۪۫۰۰۪۫c۪۫۰۰۪۫u۪۫۰۰۪۫n۪۫۰۰۪۫e۪۫۰۰۪۫s۪۫۰ Where stories live. Discover now