Je me nomme Hermann. J'ai 21 ans. Je vis avec la femme de ma vie, Kirsten. Elle est magnifique, intelligente, drôle... C'est ma bouée de sauvetage dans ce monde de discorde. Elle n'a qu'un but : retrouver ses parents. C'est compréhensible.
J'ai plutôt eu de la chance de ce côté là. Je suis un accident. Mes parents ne voulaient pas avoir d'enfant, par les temps qui couraient. On sortait du blocus de Berlin, les Soviétiques s'isolaient de plus en plus, et tout le monde sentait bien que quelque chose (comme le mur) se tramait. C'est pourquoi mes parents s'étaient résignés à ne pas faire d'enfant, étant déjà plutôt âgés, et voyant bien que cette crise n'était pas près de se finir. Mais, au fond, l'un comme l'autre étaient complètement anéantis de ne pas pouvoir réaliser leur rêve. C'est comme ça, inconsciemment, que je suis arrivé. J'ai malgré tout eu le droit à une enfance heureuse, certes pas toujours des plus confortables, mais avec des parents aimants qui étaient là pour moi, malgré la crise d'après-guerre qui s'éternisait. Les vingt premières années de ma vie n'ont rien eu de passionnant. J'avais commencé à travailler à 14 ans, pour aider mes parents. Ils n'étaient pas du tout d'accord à la base. Ils ne m'ont pas parlé pendant cinq jours quand ils ont appris par la boulangère qui le tenait de son mari que j'avais commencé à travailler dans l'usine de filage du quartier. Puis, les choses s'étaient apaisées, et ils avaient compris que c'était la meilleure chose à faire. Ils n'avaient pas les sous de me scolariser dans un collège, et puis j'avais tout de même mon certificat d'études, ce qui me permettait pour plus tard de reprendre mes études une fois la crise passée. C'est au travail que j'ai rencontré Kirsten. Cela faisait quelques temps que je la voyais prendre sa pause près de mon poste (je travaillais aux livraisons). A force, je connaissais son emploi du temps par cœur. Cela peut paraître effrayant, mais je suis très observateur, et je retiens tout ce que je sais. En revanche, je ne suis pas harceleur. Je n'utilise pas ce que je sais pour embêter les gens, juste pour les aider en cas de pépin. Mais avec Kirsten, c'était différent. J'avais envie de lui parler, de la connaître. Elle était très belle. Alors, j'ai fait quelque chose que je ne faisais jamais. Je suis allé lui parler. Lui proposer un café après le travail. Ma voix tremblait de la manière la plus ridicule qui soit. Et, chose étonnante, elle avait accepté. J'étais extrêmement heureux. Les choses sont allées naturellement entre nous. Et maintenant, elle fait de moi l'homme le plus heureux (et le plus crétin) du monde.
Je n'avais pas beaucoup d'amis. Les gens ne venaient pas vers moi, car je suis d'un naturel plutôt timide et réservé, souffrant d'un léger syndrome d'Asperger ne nécessitant pas d'être scolarisé à part (de toute façon mes parents n'en avaient pas les moyens). J'étais donc condamné à être un solitaire, ce qui n'était pas pour me déplaire. Je trouvais la compagnie de mes congénères bruyante, triviale, et brusque. C'est pour cette raison que même lorsqu'un de mes camarades venait vers moi, il se trouvait désappointé par mon apparent manque de tact qui me poussait à lui dire en toute franchise que je le trouvais désagréable. Je trouve que le tact est une perte de temps. Et puis, c'est une forme déguisée d'hypocrisie.
Je suis passionné d'art. Réellement. Cette passion me ronge depuis mon plus jeune âge. C'est pourquoi, dès que j'ai eu un salaire convenable, et avec l'accord de mes parents, j'ai passé mes journées de congés à flâner dans la galerie d'art. J'y passais tout le jour, et le gardien devait toujours me rappeler l'heure de sortie. J'aimais bien ce gardien. Il n'a jamais été bruyant, trivial, ni brusque avec moi. Avec le temps, je le considérais un peu comme un oncle. On sentait qu'il ne travaillait pas là par hasard. C'était un passionné, comme moi. Le dimanche, il venait toujours me chercher chez moi le matin. Je l'aidais à préparer la galerie pour l'ouverture. Nous ne parlions pas. C'était ça, aussi, ce que j'appréciais chez lui. Il ne ressentait pas ce besoin maladif de meubler les silences avec des petits bruits inutiles, qui me donnent personnellement envie de frapper sur quelque chose.
Kirsten est une vraie artiste. J'ai découvert cela par hasard, un jour. J'avais mon appartement depuis peu. Nous sortions ensemble depuis quelques mois. Et puis nous jouions au Pictionnary. Je suis personnellement nul en dessin. Je me contente de regarder. En silence. Mais Kirsten, elle, n'a rien à envier à personne. Ses œuvres sont les plus belles que j'aie jamais vu. Elles sont profondes, et ont toujours plusieurs axes de lecture. J'avais même réussi à la convaincre de vendre ses toiles aux marché noir, après que ce galeriste incompétent ait refusé ses tableaux, sous prétexte qu'ils étaient trop avant-gardistes. En réalité, c'est juste parce qu'elle vient d'URSS, et qu'exposer les tableaux de Kirsten peut lui attirer des ennuis. De toute façon, l'argent qu'elle gagne de par son art est uniquement consacré à la recherche de sa famille. Je sais que cela est extrêmement important pour elle, et je le comprends. J'irai décrocher la Lune si cela pouvait lui ramener sa famille.
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Be What U Art.
Historical FictionBerlin, années 70. Partout dans le monde, ce sont les années hippies, les années de la libération de la jeunesse, une jeunesse sans complexe et qui s'assume. Sauf dans le bloc soviétique. C'est dans un Berlin divisé que Kirsten, 18 ans, vit, avec so...