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Adélaïde

J'ai réussi à reprendre mon souffle, seule. J'avais peur de blesser Lilianna en lui demandant de me laisser seule, mais ça a été tout le contraire. Elle a tout de suite compris. Ce petit bout de jeune fille m'étonne beaucoup, par son attitude très positive, sa bonne humeur constante.

Et puis est arrivée l'heure « fatidique ». J'exagère sûrement, mais la panique m'a repris au moment même où ma mère est venue me sortir de mes rêveries. J'ai alors enfilé la même robe qu'hier, qui avait déjà été lavée et repassée. Ma mère s'est excusée plusieurs fois de ne pas avoir de vêtements à ma taille et a promis d'appeler une couturière à la première occasion. Des vêtements sur mesure, pour moi ? Ah ! Adieu les pantalons trop longs dont je dois retrousser les bords.

Les pantalons, tiens, je me demande si une personne de « mon rang » a le droit d'en porter. Je sais que nous ne sommes plus au dix-neuvième siècle, mais j'imagine qu'il y a des règles strictes au sein de la royauté, de l'aristocratie, de tous ces cercles sociaux que je connais à peine. Heureusement que porter des robes et des jupes ne m'a jamais posé de souci, car mon petit doigt me dit que je vais devoir y être abonnée.

Je me retrouve dans la même salle à manger qu'hier, si bien qu'un sentiment de déjà-vu me parcourt tout le corps. La robe doit y jouer. Mais la raison de ce dîner est bien différente. « Premier Ministre ». Je me répète ces mots en boucle sans arriver à m'y en empêcher. De toute manière, je suis déjà angoissée alors je ne pense pas qu'arrêter d'y penser puisse changer grand-chose. Tout me paraît tellement formel, strict, important, invraisemblable comparé à hier. « Grand-mère Lucie » et « Tante Victoria » me résonnent bien plus chaleureusement à l'oreille. C'était une réunion de famille. Une réunion très étrange, c'est vrai, mais c'était quand même familial. Alors que... qu'est-ce ?

J'essaye de me résonner, de me rassurer. Après tout, la personne la plus importante n'est pas le Premier Ministre, mais ma mère. C'est LA reine après tout. Bon et il y a bien mon père, le Roi, mais ce n'est pas la même chose. Ma conversation avec grand-mère Lucie m'a fait comprendre quelque petite chose à ce sujet. Je sais que mon père est roi par mariage, mais il n'a aucun pouvoir comparé à ma mère, ce n'est « qu'un titre » si j'ose dire. Quant à ma mère, la Reine, j'ignore réellement quelles sont ses prérogatives et j'imagine qu'elles sont bien différentes des reines d'il y a cent ou deux cents ans. Je n'ai pas eu le temps de poser plus de questions à la Reine Lucie, ayant été interrompue. Ce n'est rien, je suis sûre que j'aurais suffisamment de professeurs particuliers pour m'apprendre la constitution, les lois, la politique, les coutumes, le protocole et toutes ces choses que j'ignore sur la royauté, sur cette famille, sur ce pays.

L'arrivée du Premier Ministre, annoncée au préalable par l'huissier, me permet de ne pas avoir mal au crâne avec toutes ces questions et ces innombrables sujets. Je n'ai plus qu'une chose sur laquelle me concentrer : lui. Et ça commence par une observation rapide de sa personne. Même si j'ai été mise au courant de son âge, je reste tout de même surpris. En le voyant, il est difficile d'imaginer qu'un homme aussi jeune puisse être à la plus haute place du gouvernement. J'ai trop vu de vieillard et autres hommes aux traits fatigués dans mes manuels d'Histoire.

— Votre Majesté, dit-il solennellement.

Monsieur Graham s'incline tout en approchant ses lèvres de la main de ma mère, sans toutefois les toucher.

— Merci de m'accueillir pour ce dîner, ajoute-t-il, visiblement très heureux d'être ici.

Je reste en retrait tandis qu'il salue mon père de la même manière, sans le presque baiser de main en moins. Son attention se pose ensuite sur moi et, invité par ma mère, s'approche.

Nos Années Volées ▬ Tome ✯ ©Où les histoires vivent. Découvrez maintenant