« -Y'a une porte là ! dit Flavie.
-Au cas où t'aurais pas remarqué, y'a des portes partout, lui répondit Camille.
-Non mais, venez voir celle-là ! »
Mathis abandonna alors sa fouille de la maison et obéit avec Camille, qui tenait toujours la bougie pour éclairer le chemin semé de planches cassées et de poussière. Ils suivirent la voix de Flavie jusqu'à arriver à elle.
« -Regardez ! »
Elle pointa du doigt une pièce plus sombre encore que les autres, où, tout au fond, une petite lumière rouge clignotait. Camille s'avança pour éclairer la pièce, mais la lumière disparaissait à peine la bougie passait le seuil.
« -C'est bizarre. Y'a quelque chose dans cette pièce qu'on est pas censés voir, dit Flavie.
-Raison de plus pour y aller ! s'écria Camille en s'avançant. »
Mathis l'attrapa par le bras pour l'empêcher d'entrer, elle se dégagea immédiatement mais ne bougea quand même pas.
« -Attend... dit-il. »
Il lui prit la bougie des mains, scruta le sol et
se pencha pour attraper une pierre posée juste à côté d'eux, brillant dans le noir. Il lui rendit la lumière et jeta la pierre qui disparut dans l'obscurité. Elle tomba par terre, résonnant sur le parquet comme dans une grotte.
« -Bon, on peut y aller, affirma Camille. »
Mathis s'avança, son coeur s'accéléra légèrement mais il s'efforça de se calmer. Il était sur le point de franchir le pas quand il s'arrêta. Son pied se souleva du sol comme au ralentis il lui semblait peser plusieurs tonnes ; tous retenaient leur souffle. Au moment de poser son pied au sol, ses oreilles sifflèrent, il n'entendait plus les filles derrière lui. Il était seul, seul contre le monde, contre ce monde. Le visage d'Alizée se dessina dans son esprit, elle souriait et Mathis sourit lui aussi. Alors, il prit une grande et longue inspiration, et il posa lourdement son pied. Il sentit simplement le même parquet que dans le reste de la maison, craquer sous le poids de sa jambe. Un souffle de soulagement commun se fit alors entendre et Mathis se sentit un peu bête d'avoir eu peur pour rien. Il s'avança complètement dans la pièce, suivi des deux autres. La bougie n'éclairait plus rien du tout, même pas une faible lueur autour d'elle. Ils étaient plongés dans un noir total où baignait une atmosphère étrange.
« -Ok, dit Camille. On y voit rien, alors on va pas inspecter l'endroit de fond en comble, il faut juste se diriger vers la lumière rouge. Je passe d'abord, et vous me suivez si je vous dis que c'est bon. »
Mathis, sans la voir, entendit ses pas jusqu'à lui. Elle le toucha, sonda ses épaules, comme pour s'assurer que c'était bien lui, et d'après le hoquet de surprise de Flavie, elle dut faire la même chose avec elle quelques instants après.
« -Visel, deux pas sur ta droite, Flavie, un petit pas sur ta gauche. »
Ils s'exécutèrent lentement et Mathis comprit qu'ils étaient alors en file derrière elle, pour emprunter exactement le même chemin, si jamais c'était le bon. Et si ça ne l'était pas ? Est-ce que Alizée et les autres avaient tous pris ce chemin là ?
« -J'y vais, annonça-t-elle. Si au bout de cinq secondes environ je vous ai pas donné signe de vie, c'est que c'est pas par là.
-Attend ! s'écria Flavie. Je veux y aller d'abord, s'il te plaît. »
Et sans lui laisser le choix, elle passa devant eux. Mathis eu l'impression d'être protégé, comme si elle avait eu un instinct maternel à leur égard. Il se sentait étrangement en sécurité dans ce contexte si peu adéquat. Le silence de mort était interrompu par les pieds de Flavie qui avançaient lentement en rasant le sol, comme si elle ne voulait pas les soulever, frottant le parquet de ses souliers usés. Mais le calme fut brisé quelques instants plus tard par un hurlement de Flavie, qui semblaient s'éloigner.
« -Flavie ! »
Sans réfléchir, Mathis s'élança dans l'obscurité pour la retrouver mais le sol se déroba sous ses pieds et il cria d'effroi à son tour en tombant dans le vide, sans même voir où ils allaient s'écraser. La puissance de l'air lui heurtait la peau et la panique s'occupait de blesser l'intérieur de son corps. Il sentait qu'il allait vomir, il avait froid, il voulait pleurer. Une chute pareille les tuerait forcément, et il devina que les deux filles devaient s'en rendre compte aussi vu la terreur dans leur voix. L'une appelait à l'aide, l'autre crachait tous les jurons qu'elle devait connaître, et Mathis, lui, avait arrêté de crier. Il cherchait activement une solution mais impossible de réfléchir dans ces conditions, d'autant plus que l'obscurité était toujours totale. Son cœur palpitait dans sa poitrine si fort que Mathis en avait des nausées, puis il s'apaisa quelque peu, à la pensée que si Alizée avait pris ce chemin, quelle qu'en soit l'issue, ils seraient réunis. Du moins c'est ce qu'il espérait. Enfin, après ce qui semblait avoir duré à la fois des heures et une demie-seconde, il heurta quelque chose. La violence du choc le paralysa d'abord, et il ne comprit pas tout de suite où il était. Il ne pouvait respirer, tout était sombre, il se débattait. Puis il comprit en sentant son corps comprimé par une masse lourde et obscure ; ils étaient dans l'eau, l'eau profonde et sombre. Il fut d'abord soulagé et surprit d'être encore en vie, mais bien vite la panique se fit encore plus grande ; Mathis n'avait jamais été un grand nageur, il évitait l'eau, même. Il tenta de se concentrer et vit de la lumière, si loin de lui ; il se dit qu'il serait incapable d'atteindre la surface si c'était bien elle. Il ne pouvait pas voir les filles, il ne pouvait pas appeler à l'aide. Mais, se rappelant des merveilles que le corps humain peut accomplir en cas de danger, il se mit à nager le plus vite et le plus fort qu'il pouvait. Il sentait son coeur se serrer, son corps réclamait de l'air. Il redoubla d'efforts, et vit à bout de souffle la fin du supplice. Mais, au lieu de faire jaillir sa tête hors de l'eau et d'inspirer à plein poumon, il se heurta à nouveau sur quelque chose ; le fond marin. Comment avait-il pu nager à l'opposé d'où il voulait aller ? Il se maudit intérieurement. La pression lui donnait mal à la tête, ses oreilles sifflaient si fort qu'il n'entendait plus rien de ce qu'il se passait autour, il sentait son corps frissonner par la froideur de l'eau. Il se retourna vers la réelle surface, mais elle était bien trop loin ; il ne pouvait même presque pas voir la lumière. Son coeur allait exploser, et, ne pouvant espérer parcourir ne serait-ce que la moitié du chemin, il comprit que c'était fini. Sa bouche s'ouvrit, laissant échapper quelques bulles d'air. Son champ de vision se rétrécit, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un cercle lumineux très loin de lui. Il pensa à sa mère, en maison de retraite, qu'il n'allait pas voir assez souvent ; il voulait la voir maintenant. Il pensa à Flavie et Camille qu'il avait embarquées malgré tout dans cette aventure insensée. Il pensa à tout ce qu'il aurait voulu faire mais qu'il n'a jamais fait. Il pensa à Alizée, qu'il ne rejoindrait jamais, et qu'il ne pourrait plus jamais enlacer. Il pensa que c'était sûrement de sa faute, qu'il aurait pu faire les choses autrement. Il pensa à la Terre qu'il laissait derrière lui. Et puis il ne pensa plus du tout.
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APOCALYPSE
Science Fiction2067, le Président de la République française, Mathis Visel, est confronté du jour au lendemain à un événement jamais vu dans l'Histoire de l'humanité : la moitié du pays a disparu de la surface de la Terre, emportant des millions d'innocents dont s...