Comme aspirée vers l'extérieur par une force inconnue, toute l'eau contenue dans les poumons de Mathis jaillit hors de lui en aspergeant son visage déjà parsemé de gouttes d'eau claires. Il sentit qu'on le retournait sur le côté, mais sans avoir le temps de comprendre, il ressentit une brûlure monter dans son œsophage. Il cracha, vomit, toussa plusieurs fois avant que ça se calme, et enfin il se rallongea sur le dos, des larmes causées par l'acide de son estomac aux coins des yeux et le souffle court.
Il ne comprenait pas du tout ce qu'il se passait, alors il tenta de se redresser mais on l'en empêcha. Il sentait des petites gouttes d'eau tomber sur son visage.
« -Monsieur ! Restez allongé, s'il-vous-plaît. »
Il ouvrit alors les yeux et vit Camille, penchée sur lui et l'air inquiète, et Flavie un peu plus loin, toutes les deux dégoulinantes. Il se sentit d'un coup trempé lui aussi, et alors tout lui revint.
« -Alors, comment tu te sens ? demanda Camille, un petit sourire en coin. »
Elle s'assit à côté en empoignant tous ses cheveux pour les essorer. Mathis ouvrit la bouche pour répondre mais Flavie intervint.
« -Ne répondez pas, reprenez tranquillement votre respiration, conseilla-t-elle doucement.
-C'est bon, il va bien, plus de peur que de mal, conclut Camille. »
Elle se leva toujours en souriant puis se mit à retirer sa veste imbibée d'eau. Elle avait l'air si sereine compte tenu de la situation, Mathis se sentit presque admiratif.
« -La vache, je m'en souviendrai toute ma vie de cette chute ! »
Mathis avait du mal à remettre ses idées en place, à comprendre comment il pouvait être là.
« -Qu'est ce qu'il s'est passé ? parvint-il à articuler d'une toute petite voix.
-Camille vous a sorti de l'eau. »
Il se tourna alors vers elle, en train d'étendre quelques vêtements sur la branche d'un arbre. Elle ne portait plus qu'un jean et une brassière, et elle avait la chair de poule sur toute la surface de sa peau.
« -Mon Dieu... Merci beaucoup, souffla-t-il.
-Oui bon ça va, je l'aurais fait pour n'importe qui, pas la peine de s'extasier non plus. Quelqu'un sait faire un feu ? demanda-t-elle en frottant ses bras pour les réchauffer.
-Ouais, dit Flavie. Je vais aller chercher du bois. »
Mais elle ne se leva pas, elle se tourna vers Mathis. Elle aussi semblait avoir froid, ses fines lèvres tournaient au bleu et au violet. Elle avait vraiment mauvaise mine, car avec la pâleur naturelle de sa peau, elle ressemblait à un mort.
« -Ça va aller Monsieur ? Vous avez mal quelque part ? »
Il aurait voulu répondre fermement que ça va aller et qu'il peut aller chercher le bois lui-même, mais tout ce qu'il parvint à faire c'est secouer lentement la tête de gauche à droite comme un petit garçon apeuré. La vérité, c'est qu'il avait honte de ne pas avoir pu se débrouiller tout seul, d'avoir eu besoin d'aide. Flavie hocha la tête, comme pour se convaincre elle-même qu'il pouvait survivre seul quelques minutes. Cette fois, elle se leva et s'enfonça dans la forêt qui les encerclait, disparaissant de leur vue. Il se redressa alors lentement et constata sa pauvre apparence. Ses vêtements, qui quelques heures auparavant étaient presque neufs, paraissaient vieux de quelques années. Sa chemise blanche était tachée d'un mélange boueux d'eau et de terre, et une algue s'était même invitée sur son épaule. Il la chassa et passa une main dans ses cheveux, jadis bien coiffés.
« -Donne moi ta veste. »
Camille s'était approchée sans qu'il ne s'en rende compte, et il obéit sans dire un mot.
« -Enlève aussi tes chaussures et tes chaussettes, et tout ce que tu peux enlever, faudrait pas qu'on tombe malade. »
Elle s'éloigna pour poser sa veste sur la même branche et il s'employa à défaire ses lacets, toujours très lentement, toujours abasourdi. En même temps, il observa le paysage. Il ne pouvait pas distinguer grand chose, parce qu'il faisait déjà presque nuit, mais il y avait un grand lac très circulaire devant lui ; sans aucune trace d'un endroit d'où ils auraient pu tomber. L'eau était presque verte, et opaque, et il devait faire quelques dizaines de mètres de long. Il y avait autour des arbres à perte de vue, qui laissaient juste place au mystérieux lac de s'étendre. On n'aurait pas pu en voir la fin tant la forêt était imposante et dense, d'autant plus que les arbres étaient très longs, d'au moins une quinzaine de mètres. C'était magnifique, et dans d'autres circonstances, Mathis aurait probablement juste pris une photo et aurait vite été occupé à autre chose. Mais, maintenant, il désirait simplement observer ce qui se passait devant lui. Il repensa aux profondeurs froides et obscures, et il respira profondément ; il prit conscience de l'air qu'il inspirait. Même si, tout au fond de lui, il savait bien que cet air n'avait rien de naturel.
Flavie arriva avec un gros paquet de branches dans les bras.
« -Je me suis pas trop éloignée, j'avais peur de pas retrouver mon chemin. »
Camille se précipita pour l'aider, et Mathis ne se leva aussi, mais avec moins d'entrain. Rien n'aurait pu déranger ses pensées ; sa tête était remplie de tout et de rien, de petits rien qui forment un tout.
Les filles, en quelques instants que Mathis ne saurait quantifier, firent jaillir une toute petite braise qui, bien vite, se transforma en grand feu. Elles illuminèrent la clairière qui commençait à s'assombrir en même temps qu'elles illuminèrent leurs visages ; de grands cris de joies provenaient des deux, célébrant leur victoire. Ils n'avaient rien à manger, certes, et ça se faisait quelque peu ressentir, mais peu importe. S'ils étaient parvenus à éclairer cette obscurité là, ils pourraient tout faire, c'est du moins le sentiment qui pesait dans l'atmosphère chaleureuse que Mathis ne partageait pas. Il s'assit néanmoins au coin du feu, car le froid commençait à le chercher ; il fallait faire sécher ses vêtements.« -Je vais rechercher du bois, dit Camille.
-Nan, tu sauras pas ce qu'il faut, j'y vais ! annonça Flavie en se levant. »
Elle s'enfonça dans les ténèbres, laissant Mathis et Camille seuls. Quelques instants de silence furent observés, dérangés par le crépitement du feu et le frottement des mains de la journaliste. Mathis n'avait plus froid maintenant, il était sauf.
« -Hé, Camille ?
-Quoi ? dit-elle sans le regarder.
-Merci beaucoup. Sincèrement, merci.
-Je t'ai déjà dit que... »
Mais, en se tournant vers lui, elle se figea devant ses yeux pleins d'honnêteté et de sentiments, et ça l'adoucit ; elle sourit même légèrement.
« -Y'a pas de quoi. Et, tu sais...
Elle ne parla pas pendant quelques instants, et bien que Mathis continuait de la regarder, elle se détourna vers les flammes dansant devant elle.
« -Quoi ? demanda enfin Mathis, brisant le silence.
-Bah, j'ai aucun mérite à faire ce que j'ai fait. Je t'ai vu dans l'eau, tu allais dans la mauvaise direction. Tu nageais vers les profondeurs, alors, je t'ai suivi, je voyais bien que tu étais perdu. Tu es passé par tous les stades de couleurs, tu sais ça ? rit-elle. Du blanc au rouge en passant par le bleu, une très belle palette. »
Elle marqua une pause en ne pouvant s'empêcher de dessiner sur son visage un faible sourire, qui disparut aussitôt. Elle se tourna enfin vers lui et plongea ses yeux noirs dans ceux de Mathis. Sa voix tremblait un peu, ses yeux aussi.
« -Tu commençais à perdre connaissance, alors j'ai nagé encore plus vite. Je t'ai ramené à la surface, tant bien que mal, parce que tu pèses ton poids quand même. Mais quand j'ai sorti ta tête de l'eau, tu respirais toujours pas. Flavie était déjà en train de sortir de l'eau mais en nous voyant, enfin, en te voyant dans cette situation, elle a replongé sans hésité nous aider. J'ai dû te faire les premiers secours pendant bien cinq minutes avant que tu ne réagisses, mais je devais bien te sauver, sinon Flavie aurait déprimé pour toujours ! »
Mathis voyait bien qu'elle cherchait des excuses pour cacher ce qu'elle pensait, ce qu'elle ressentait vraiment. Mais il ne l'interrompit pas, il l'écoutait avidement. Il était en complète admiration devant elle, car il ne savait pas s'il serait un jour capable d'un tel héroïsme.
« -Ton visage était très pâle, et je savais pas trop quoi faire, j'avais vraiment peur. »
Il lui fallut quelques secondes pour se rendre compte de ce qu'elle avait dit. Elle garda la bouche ouverte sans savoir quoi dire, elle devait chercher une explication plausible pour expliquer ce qu'elle venait d'avouer, mais n'en trouvait manifestement pas. Elle pensait sûrement qu'elle avait trop parlé, qu'elle aurait dû se taire, mais Mathis était content qu'elle ne se soit pas écoutée. Elle baissa la tête et entreprit de faire semblant d'admirer le feu. Elle avait l'air embarrassée, alors il prit la parole pour lui éviter plus de gêne.
« -En tout cas, je te dois la vie. Si tu as besoin de quoi que ce soit, dis un seul mot et je m'exécute. N'importe quoi.
-Ça, c'est noté, dit-elle avec un sourire. »
Mathis sourit avec elle et se retourna lui aussi vers le feu. Il entendit Flavie revenir et s'asseoir avec eux. Dans cette ambiance où les filles rigolaient ensemble, Mathis ne participait pas à la conversation, bien qu'il ressentait une chaleur agréable dans le corps en les entendant rire, l'entraînant avec elles. À cet endroit-là, à cet instant-là, étrangement, il se sentait rassuré par leur présence. Ce soir-là, il avait bon espoir de s'en sortir vivant, et de retrouver celle qu'il aime.
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APOCALYPSE
Fiksi Ilmiah2067, le Président de la République française, Mathis Visel, est confronté du jour au lendemain à un événement jamais vu dans l'Histoire de l'humanité : la moitié du pays a disparu de la surface de la Terre, emportant des millions d'innocents dont s...