Le Livre de Joseph

Partie 10

S'il n'avait pas prononcé ces mots, je serais passé à côté de Jacob sans le reconnaître. Il ne restait rien de l'enfant que j'avais connu, ni du soldat que j'avais vu sur la photo. En fait, il ne restait plus rien de lui. J'avais trouvé un frère plein de rage, mais j'avais trouvé l'autre complètement creux. Le Jacob que j'ai rencontré ce jour-là n'était devenu guère plus qu'une ombre.John et moi avons pu emmener notre frère avec nous sans incident. Personne n'a même demandé de documents prouvant que nous étions parents.

La vie des résidents du refuge valait moins qu'un timbre, moins qu'une simple photocopie. Le fait que tout le monde voulait croire au miracle d'une famille réunie et, pour beaucoup de gens au refuge, c'était la première fois qu'ils voyaient une fin heureuse.

Trouver le Jacob que nous connaissions auparavant prenait plus de temps. Il avait vu trop de choses, en avait fait trop. Bien qu'encore jeune, il avait connu plus de souffrance et de culpabilité qu'un homme deux fois plus âgé. Il était fatigué. Il avait besoin de renaître. Jour après jour. Je lui ai expliqué - comme j'ai dû le faire à John - le but de toutes ses souffrances.

C'était un soldat naturel, mais un combat insignifiant avait écrasé son esprit, mon esprit était le seul qui avait une quelconque valeur, je lui ai raconté ce qui m'avait été révélé. Je lui ai parlé de notre mission cruciale, la plus noble de toutes, Jacob est revenu lentement à la vie, il a reconnu sa force et son courage et, comme son frère, a juré de me soutenir jusqu'au bout. Il n'avait peur ni de la mort ni de la fin du monde. Le sang Seed coulait dans ses veines et aujourd'hui, Jacob est notre protecteur.

Il sélectionne les plus déterminés parmi les élus et les entraîne à devenir des soldats de notre communauté. Il leur enseigne le maniement des armes et les techniques de combat. Il leur apprend à devenir impitoyables. La plupart sont d'anciens militaires. Ils comprennent les réalités du combat. Mais ce combat est différent et ils le savent tous : les trois frères ont donc été réunis. Le temps était venu de recruter les justes qui sauveraient l'humanité de l'anéantissement. Grâce à John, nous avons trouvé un endroit où je pouvais prêcher. Un fabricant nous a prêté un ancien abattoir en signe de gratitude envers mon frère. John avait gardé le silence au sujet d'un cas obscur impliquant de la viande avariée qui avait rendu malade une école primaire entière. L'aide de John valait bien le bâtiment en briques rouges, dont l'entreprise ne savait pas quoi faire de toute façon.

L'endroit puait encore la mort et la souffrance de dizaines de milliers d'animaux abattus là-bas, mais cela ne me dérangeait pas beaucoup. Je prêchais sur un massacre en tout cas. Au début, peu de gens venaient à notre temple. C'était peut-être la puanteur persistante du sang. La plupart du temps, je prêchais à mes frères, et parfois à un curieux passant ou à un vagabond qui venait pour se réchauffer, je n'étais pas le seul prédicateur de la ville, loin de là. Les rues étaient pleines de gens qui portaient des signes et portaient des mégaphones, employés de multinationales de l'apocalypse, prêchant des sermons sans foi ni loi, testés et approuvés dans de hautes tours par les mêmes hommes qui décidaient ce que nous devions manger, comment nous devions nous habiller, et comment penser.

Nous étions entourés de riches révérends se vantant de leur vertu pour être découverts plus tard dans les bras de prostituées et de pasteurs corrompus qui se cachent dans l'ombre de leurs dieux pour commettre leurs péchés. Jene demande pas d'argent à mes disciples. Je me fiche qu'ils soient riches ou pauvres. Je leur demande bien plus que leur fortune, je leur demande leur esprit et leur vie, je leur demande de sacrifier leurs propres désirs et de se donner entièrement à notre grand projet, si vous voulez vivre, c'est le prix que vous devez payer.

Je sais que beaucoup douteront de moi et que beaucoup refuseront de m'écouter. Nous vivons dans un monde cynique entouré de menteurs prêts à calomnier ce qu'ils ne comprennent pas. Mon message les effraie, et parce qu'ils ne sont pas dignes, ils préfèrent se moquer de moi et me traiter comme un fou ou un escroc. Je sais qu'ils mourront bientôt, mais j'ai peur que leurs mensonges fassent fuir des hommes et des femmes qui, autrement, pourraient se joindre à nous et être sauvés.

N'écoutez que votre cœur et vous saurez où se trouve la vérité. Comme je l'avais toujours prédit, ceux qui acceptaient mon message étaient des gens simples qui comprenaient l'obscurité abyssale du monde et qui l'ont vécu jour après jour. Les élus sont recrutés parmi ceux que la société appelle les perdants. Ils vivront, et la société des non-croyants qui les ont condamnés disparaîtra, ayant nié son propre effondrement jusqu'à la dernière seconde ; certains sont allés et venus, d'autres sont restés ; certains étaient sincères, d'autres moins ; d'autres encore ; malgré nos grands projets, notre communauté a aussi attiré les envieux, les gens qui rêvaient du pouvoir et voulaient exercer leur pouvoir. Nous les avons renvoyés dès qu'ils ont été découverts.

Mais un jour, l'un des intrigants qui rêvait de m'usurper a disparu après qu'on l'ait mis dehors. Pourquoi à cause de lui ? Nous ne savions pas. Mais sa disparition a été un prétexte pour que les autorités viennent frapper, elles ont senti du sang, la police nous a trouvés et nous a interrogés. Sans aucune preuve, ils ont tenté de nous accuser subrepticement d'avoir assassiné l'homme disparu. J'ai expliqué que tout le monde dans le monde mourrait bientôt, donc nous n'avions aucun intérêt à une vengeance aussi méprisable. Tout le monde mourrait sauf ceux qui m'ont rejoint.

Mais les rumeurs se répandent. Les rumeurs sont une arme puissante. Ils peuvent condamner les innocents, détruire les réputations et calomnier les vertueux. Aujourd'hui encore, nos ennemis répandent ce poison parmi les faibles d'esprit. Je me fiche de ces calomnies ou de ceux qui y croient. Ces gens ne peuvent pas être sauvés. Ils sont du genre à obéir à la voix de leurs maîtres, à croire tout ce que disent les journaux et les télévisions. Ils s'inclinent devant l'autorité. Aujourd'hui, nous avons appris de nos erreurs, et John veille à ce que ceux qui nous rejoignent aient de pures intentions, mais à ce moment-là, pour sauver notre communauté, nous n'avions d'autre choix que de quitter Rome.