Dis moi que tu te souviens. Dis moi que tu te souviens des bulles de savon que je faisais voleter au dessus de ton berceau pour te faire rire le soir avant de t'endormir. Je me rappelle encore tes éclats de rire si cristallins. Tu levais tes petites mains au dessus de ta tête à la quête de ces éclats de magie qui dansaient devant tes yeux et je m'émerveillais alors de voir la beauté de l'espoir miroiter dans une réaction si pure.
Dis moi que tu te rappelles quand je te serrais si fort contre moi lorsque la crainte de la rencontre avec ce nouveau monde te tétanisait. Dis moi que tu te souviens de ma voix qui fredonnait sans cesse pour toi lorsque venait la nuit et que personne ne venait à ton secours.
Rappelle toi, rappelle toi les bulles de savon et mon sourire inaltérable qui berçait tes songes. Toujours, j'avais toujours été à ton côté, et tu trouvais inéluctablement mes bras et les battements de mon cœur lorsque les sanglots venaient te chercher. Tu n'étais qu'un bébé après tout, mais déjà je savais que jamais ta main ne se refermerait sur du vide lorsque les ombres viendraient te faire peur.Dis moi que tu te souviens de la rivière. Dis moi que tu te rappelles de ce repère secret que je t'avais un jour fait découvrir, comme un trésor unique et enchanté, où tout était possible quand ailleurs plus rien ne semblait l'être. Je me souviens t'avoir fait asseoir en tailleur entre ces deux minuscules bras d'eau, à l'abri du regard du monde, tout comme je le faisais moi même depuis déjà si longtemps. Je voulais t'apprendre ce qu'était réellement cette terre que tu foulais du pied chaque jour sans que personne ne te l'ait jamais vraiment présenté.
Je voulais que tu reconnaisses ce qui avait un jour été sous le béton, à la place des villes, au lieu des routes et du trouble. Je voulais te voir répondre au chant des oiseaux, respecter les pleurs de la montagne et soigner le lit de la rivière. Je voulais que tout cela soit ta maison, ton refuge, quand ailleurs tout cherchait à te nuire, te rabaisser. Je voulais que tu saches que tu valais la peine, que tu avais ta place, qu'ici on te voulait, on te cherchait, que tu importais mon enfant, que cette terre était la tienne et que, si tu l'honorais, un jour peut être tu y serais véritablement chez toi partout, et non pas seulement entre les quatre murs trop petits que d'autres t'avaient fabriqué d'artifices. Tu valais mieux que cela mon enfant. Oui, tu valais tellement mieux, tellement plus. Je te guiderai mon enfant, te montrerai tout et encore davantage.
Cette planète pourrait être ton amie, ton alliée, mais pour cela tu dois bien écouter, apprendre à t'asseoir, à lever la tête et à l'observer et non pas seulement à la voir. Car elle est là, elle te parle mon enfant, comme personne d'autre ne le fera. A ses yeux tu importes, tu n'es pas qu'un rejeton de plus, un inexpérimenté du monde, car elle veut te raconter, et elle compte sur toi pour peut-être qu'un jour d'autres comme toi apprenne à la regarder. Alors écoute moi bien mon enfant, écoute attentivement chacun des sons des habitants de la forêt, de la montagne, des eaux et du ciel. Observe le mouvement du fleuve, le chemin des nuages, et ne dis pas un mot en retour tant que tu n'auras pas d'abord accepté leurs paroles. Toutes les réponses sont là enfant, toute la beauté, la vérité, tout ce qui doit guider tes pas, est juste devant toi. Regarde mon enfant, regarde et ne fais pas que voir.
Tu étais si jeune, mais déjà je savais que je n'aurais de cesse de faire scintiller pour toi toute la beauté du monde. Tout autour de toi était merveilleux, inouï, et coloré des centaines de nuances de l'existence, et je voulais te voir sourire, je voulais t'entendre rire, je voulais te voir vivre comme plus personne ne sait le faire maintenant. Je voulais te voir propager chaque infime morceau de ce que tu es au grand jour et que jamais tu ne penses avoir gâché un instant. Je voulais que tu te reconnaisses dans l'écorce de l'arbre, dans le corail de l'océan et dans la brume du début de l'automne. Tout cela c'était toi mon enfant, c'était ce qui t'avait fait naître, et ce qui te pousserait à vouloir faire tes premiers pas. Alors marche, lève toi et viens à ma rencontre. Regarde devant toi comme je te tends les bras, comme je t'encourage avec le fracas de l'orage et la douceur des flocons de neige. J'ai toujours su que tu en serais capable cher fils, que tu saurais poser le pas en évitant le passage de la fourmi à tes pieds ou la pousse du lichen sur ton côté. Tu apprends enfant, et tu sais maintenant comment appuyer la main sur la branche pour ne pas tomber ou en abîmer une feuille. Observe comme je suis fière de toi, comprends que mon sourire est le tien, et ton succès mon salut. Oui, sois fier mon fils, car jamais je n'ai vu un tel égard pour le monde chez un autre, et je sais maintenant que tu as compris comment apprendre. Bientôt tu grandiras encore, mais pour le moment sois patient et surtout écoute bien.
Dis moi que tu te souviens. Dis moi que tu te souviens de la première fois où je t'ai présenté à la mer. Tu étais si époustouflé par ce nouveau joyau de la planète et ne cessais de me répéter, tout exalté que tu étais, "¡ Mira* Belle, mira !". Et oui mon fils, je regarde, mes yeux n'en perdent rien, et pourtant, ce ne sont pas vers les vagues qu'ils sont tournés, mais bien vers toi. Enfant, je prospère de te voir ébahis par un tel spectacle, tandis que tu ne cesses de m'appeler par ce surnom que tu m'as trouvé la première fois que je t'ai montré ce que c'était que fleurir, devant la métamorphose des buissons de Belle de nuit il y a bien des années. Tes paroles n'étaient alors que balbutiements, mais déjà tu savais reconnaître la beauté dans les plus infimes choses du monde. J'étais alors pour toi devenue Belle, du nom de cette première offrande authentique, éclos devant ton regard, dirigé là par le conseil d'une mère qui ne t'avait pourtant jamais accouché. Combien de fois ai je pu entendre ta voix émerveillé m'interpeller de la sorte ? "¡ Belle, Belle mira !" Chaque fois, c'était un enchantement d'apercevoir dans tes yeux, de déchiffrer dans tes éclats de voix, toute la reconnaissance que tu avais si jeune pour ce que le monde voulait t'offrir. Et je pleurais alors, augmentant la hauteur des eaux, la force des vagues et la puissance du paysage, pour te voir sourire encore davantage et remercier le monde de te prêter la plage.
Il était temps pour toi de rentrer te reposer, tu savais te montrer à l'écoute de ce que ton corps te disait, et chaque jour tu rentrais méditer tes nouveaux savoirs dans ce sanctuaire abandonné où, comme dans ton cœur, la nature avait repris ses droits. Des esquisses de murs y étaient discernables, mais ce qui importait surtout c'était cet arbre immense et doré qui de nouveau fertilisait l'espace. Ici, tu étais l'oiseau dans son nid, la souris dans ses galeries, le poisson dans son anémone.
Mon fils, je te vois grandir et grandir encore. Si vite, le bébé que tu étais a disparu pour un homme aux yeux grands ouverts. Je te vois sous cet arbre d'or vert, et je sais qu'enfin une nouvelle chance a fleuri pour ce monde. Pour autant, tu es encore bien jeune, enfant, au regard de tout ce que le monde a encore à t'apprendre, alors je t'en prie, n'oublie pas d'où tu viens, n'oublie pas ce que la terre t'a appris. Peu importe les affres de la journée. N'oublie pas de regarder et non de voir, n'oublie pas d'écouter et non seulement d'entendre, n'oublie pas que bambin tu croyais tout connaître et que pourtant chaque jour le monde te surprenait par un nouveau spectacle. Tu as vieillis, mais tu peux toujours grandir enfant, alors n'oublie pas ton savoir, tes connaissances, n'oublie pas d'apprendre, n'oublie pas ce qui compte vraiment.
Mon fils, n'oublie pas d'où tu viens, ce qui a fait ce que tu es.
Mon fils je t'en prie, ne sois pas comme tes aînés, n'oublie pas ton passé, pour que mes efforts n'aient pas été cette fois-ci en vain.
Mon fils, n'oublie pas ce qui t'a fait, et rappelle toi les bulles de savon.Mon fils, rappelle toi. Toujours. Et apprends. Toujours.
Mira* : du verbe mirar (espagnol) signifiant regarder, conjugué ici à l'impératif : "Regarde Belle !".
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Mirabelle
General FictionAllons à la rencontre de ce que nous avons oublié, laissons nous guider par la terre sous nos pieds.