CHAPITRE 3 - Zoé [3|3]

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— On va s'en sortir Zoé, se relever de cette horrible épreuve et quitter cet endroit, chuchota-t-il d'une voix douce. Même sans Rex, nous y parviendrons. Montrons-lui que ses conseils n'étaient pas vains. Et prouvons à nos adversaires que nous sommes capables de trouver la force de poursuivre notre combat malgré tout.

Ses phrases un peu clichées et maladroites me firent légèrement sourire et me réconfortèrent quelque peu. On allait s'en sortir et on montrerait que, même sans Rex, on restait soudés et forts.

Segger avait mis le feu aux poudres et notre rébellion ne faisait que commencer... Mais dans nos cœurs subsistaient encore l'étincelle de notre liberté.

— Qu'est-ce que c'est ? lançai-je à Néo en pointant le carton accroché au mur.

— Une autre mauvaise nouvelle, avoua-t-il, dépité.

Je fronçai des sourcils. En quoi cela pouvait-il en être une ? J'observai le dit objet avec un peu plus d'attention : il s'agissait d'un éphéméride.

— Est-ce que je me trompe où le calendrier n'est pas à la bonne année ? soufflai-je en remarquant que le dernier chiffre avait été remplacé par un sept.

— Nous sommes vraiment en 2017, Zoé, révéla Néo gauchement. Deux ans se sont écoulés depuis cette confrontation avec Segger.

— Quoi ? Je... Non, tu mens ! balbutiai-je, abasourdie. C'était tout juste hier que nous nous sommes battus ! Ou, à la limite, il y a deux jours, si je me suis évanouie un peu plus longtemps... Mais pas deux ans, c'est impossible !

— Je te promets que ce n'est pas une blague ! Quel serait l'intérêt de Segger de nous faire croire une telle chose, Zoé ?

— Je suis en plein cauchemar, c'est la seule possibilité, marmonnai-je pour moi-même, ignorant ses paroles. Rex est encore en vie, je dois être au campement en train de faire un horrible rêve...

Néo soupira, blessé par mon obstination.

— Écoute, je n'ai pas envie de me laisser bercer par des illusions, alors donne-moi une seule raison de te croire ! Prouve-moi que tu es bien le Néo que je connais !

— Je t'ai partagé mon plus grand secret un soir, tu te souviens ?

J'acquiesçai, surprise qu'il ait décidé de ressortir sur le tapis cette histoire.

— Si je n'étais pas le vrai Néo, je ne te dirais pas ça, reprit-il doucement. Tu es la seule à être au courant...

Je ne trouvai rien à répondre. J'avais l'impression que l'on venait de balayer mon monde pour en mettre un autre à la place. Pourtant, j'avais envie de croire en lui.

Je me recroquevillai sur moi-même, les genoux contre ma poitrine.

— Tu crois qu'il viendra nous sauver ? murmurai-je tout bas, si bien que Néo dû se rapprocher davantage pour m'entendre.

— De qui tu parles ?

— De notre allié.

— Je ne l'ai jamais réellement rencontré, à vrai dire. Je sais qu'il vous a aidé par le passé, mais... tu ne crois pas qu'il nous aurait sorti de ce pétrin depuis longtemps s'il était vraiment de notre côté ?

— Donc, pour toi, l'Organisation dans laquelle il travaille, c'est du vent ?

— Je pense que l'espoir est une lueur dangereuse. L'espoir a tué dix fois plus de gens que la famine et la pauvreté réunies. Je ne veux pas perdre mon temps dans l'attente que quelqu'un d'autre nous aide. Je veux me battre pour gagner ma liberté, comme Rex le faisait avant nous.

Je ne sus quoi répondre, perplexe. La liberté, à mon sens, possédait d'innombrables facettes : certaines s'avéraient positives, d'autres l'étaient beaucoup moins. Je désirais au plus profond de mon cœur l'acquérir, la conserver auprès de moi pour l'éternité. Toutefois, je n'étais pas sûre de comprendre avec précision l'ampleur de sa signification. Comme d'autres, Néo parvenait-il à la déchiffrer ?

Être libre...

Savoir quand nous l'étions et quand nous l'étions pas, là était tout le problème. En soi, j'étais libre d'agir, de penser, de m'exprimer. Oui, j'étais libre sur bien des points. Mais, pas au sens large.

Autrefois, la liberté s'achetait, se vendait, s'offrait et était, la plupart du temps, reliée à l'esclavagisme, à notre condition d'homme, à cette constante tension entre le serviteur et le maître. Pour les personnes de cette époque, la liberté avait une valeur beaucoup plus importante qu'aujourd'hui, un impact bien plus fort dans les esprits des uns et des autres.

Ces gens-là voulaient vivre leurs vies comme ils l'entendaient, vivre par eux-mêmes. Ces multiples débats, de nos jours, n'étaient plus d'actualité ou, du moins, plus tout à fait. Nous n'étions plus l'esclave de quelqu'un d'autre, nous étions esclave de nous-même.

Nous érigions nos propres barrières, créions nos propres limites.

Nous étions géôlier et prisonnier à la fois.

Dis ainsi, cela pouvait paraître étrange. Mais, ce n'était rien de plus que nos mentalités. Par soucis d'éducation, les parents imposaient très tôt des règles aux plus jeunes et, delà, chacun comprenait la notion de liberté comme bon lui semblait.

Aujourd'hui, je ne me sentais pas libre. Et ce n'était pas seulement parce que je me retrouvais captive des griffes de Segger, mais parce que j'avais bien d'autres raisons. Être libre signifiait à mes yeux de ne plus avoir de ravin freinant mon épanouissement, de ne plus être rattachée à aucune chose, aucune personne, aucune émotion.

Mais n'était-ce pas alors tout simplement se comporter en égoïste ?

Malgré ça, malgré ce que cela impliquait, j'avais envie de le devenir. Oui, j'entendais par-là d'être égoïste, peu importe à quel point cela pouvait choquer.

J'avais conscience que je ne parviendrais jamais vraiment à ne songer qu'à moi : je n'étais pas capable de détourner mon regard des autres, de négliger mes ressentis au nom de ma propre liberté. Ce serait trop difficile.

Ma propre morale me l'interdisait, en dépit de tout, même de mon bonheur.

Pouvait-on être heureux en étant libre ? J'avais quelquefois l'impression de me rapprocher de cette idée et, parfois, de m'en éloigner. Mais je savais que, malgré tout, la liberté me comblerait, me soulagerait. Si être libre signifiait d'être dépourvu d'affects, j'étais prête à le devenir.

Les sentiments étaient gênants, pesants, fatiguants et, bien trop souvent, douloureux.

Je soupirai. Ce trop-plein d'émotions me minait l'esprit autant que la santé. J'avais compris depuis bien longtemps déjà que j'étais amoureuse. Le problème avec ce sentiment ̶ vous savez, celui qu'on conte être le plus puissant de tous, celui qui règle tout ̶ c'était qu'il se révélait trop dangereux. Oui, l'Amour demeurait le plus déroutant. La vie avec lui ressemblait à une longue route sinueuse oscillant entre espoir et désespoir. L'Amour me paraissait trop compliqué et, si je le pouvais, je m'en débarrasserais.

Voilà pourquoi j'aimerais tant être libre : je voulais que mon petit cœur ne se fasse plus ainsi malmener...

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant