Chapitre XII

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La nuit n'était pas encore tombée quand nous y pénétrâmes enfin. Il commençait déjà à y avoir du monde, mais on parvint tout de même à s'installer à la même table que la veille et le matin, à côté de l'entrée, toujours dans le but d'avoir une vue d'ensemble sur ce qui pourrait s'y passer et surtout afin de voir qui y entrerait. Je pris soin cette fois-ci de bien garder ma capuche tirée afin de dissimuler mon visage du mieux possible.

Quand l'aubergiste nous remarqua, il nous envoya un garçon de salle s'enquérir de ce que l'on souhaitait manger et boire. Un cochon entier était embroché dans l'âtre et rôtissait, l'odeur qui en émanait me mit immédiatement l'eau à la bouche. Nous en réservâmes deux bons morceaux ainsi qu'un bol de lentilles, du pain, du fromage et une fois n'est pas coutumes, des pâtisseries. Du beau monde étant attendu toute la soirée, l'aubergiste avait mis les petits plats dans les grands pour satisfaire leurs appétits exigeants. Nous décidâmes donc d'en profiter. Mon mentor se tourna vers moi :

– Avez-vous déjà bu de la bière ?

– Non, jamais. J'avais bien abusé quelques fois de l'eau de vie de mon mari pour rendre les choses là-bas un peu moins difficiles, mais il ne ramenait jamais de bière. Je pense que ça devait être trop onéreux pour lui.

Il me regarda quelques instants sans rien dire devant la révélation que je venais de lui faire sur mon usage de l'eau de vie. Je vis une ombre passer dans son regard et ses poings et sa mâchoire se serrer brièvement. Puis il enchaîna.

– Vous m'en direz des nouvelles alors. Je suis désolé pour ce que vous avez vécu.

– Ne vous inquiétez pas, c'est du passé et vous n'y êtes pour rien. En tout cas, je suis curieuse de goûter ma première bière !

J'essayai de rendre cette dernière phrase la plus enjouée possible afin d'alléger un peu l'atmosphère. Tarkal commanda donc deux pichets de bière bien fraîche de façon plus détendue, mais je savais que ce n'était qu'un leurre et qu'il bouillait intérieurement d'imaginer les implications de ce que je venais de lui apprendre.

Pendant que nous attendions notre repas, nous observions les gens entrer, c'était un flot presque incessant. Tarkal m'interrogeait sur le ressenti que j'avais de chacun. Il m'expliquait leur rang et ce que cela impliquait dans leurs relations quotidiennes, leurs attitudes, leurs vêtements, leurs façons de parler, de s'adresser les uns aux autres. J'avais l'impression d'être dans un spectacle. C'était fascinant d'imaginer que tout cela était une sorte de jeu implicite dont tout le monde se devait de connaître les règles au risque de se faire exclure et que tout dépendait uniquement de leur naissance.

Je me rendais compte au fur et à mesure de l'immensité de mon ignorance dans ce domaine :

– Jamais je n'arriverai à retenir tout cela, il y a trop de choses à savoir, trop de subtilités.

– C'est vrai que pour quelqu'un qui n'est pas né dedans, ça correspond à apprendre un nouveau langage, mais au bout de quelque temps il est possible de complètement s'immerger dans leur monde, et il va falloir que vous appreniez, que vous les compreniez, que vous deveniez l'une des leurs.

Je me tournai vers lui, interloquée :

– Pourquoi ?

Il plongea son regard dans le mien :

– Parce que vous n'êtes pas faite pour vivre cachée au fond des bois. Vous valez mieux que ça. Vous n'allez pas pouvoir continuer à rester à l'écart du monde, vous méritez mieux et je veux vous donner toutes les chances d'y arriver, on va donc dès aujourd'hui orienter une partie de votre apprentissage dans ce sens.

Astria Tome I MétamorphoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant