Minuit treize. Je la suis depuis maintenant deux heures. Il fait froid, une légère buée se forme sur les verres de mes lunettes, à chaque respiration. Un vent glacial nous accompagne, seuls nos pas se perdent dans le silence. J'imagine qu'elle m'a remarqué, mais elle ne le laisse pas montrer. D'un autre côté, son pas est de plus en plus incertain. Son rythme n'est pas stable, elle ne cesse d'accélérer puis de ralentir. Pense t-elle que je ne vois rien de tout cela ? Essaye t elle de se convaincre qu'un inconnu qui la suit depuis si longtemps est une parfaite coïncidence ? Elle n'est plus très loin de chez elle maintenant, et il faut que j'agisse rapidement. Elle est petite, de corpulence moyenne. Son doux parfum, mené par le vent, ne cesse de m'appeler. Bientôt. Plus que quelques minutes. Cathy, 22 ans, atteinte de dysmorphophobie, en terme plus compréhensible, a peur d'être, ou de devenir laide. Dans son cas précis, je dirais qu'elle a peur de devenir laide, car je la trouve séduisante. Au cabinet, il y a maintenant trois ans, elle s'était effondrée, en me parlant des effets des réseaux sociaux sur sa santé mentale et son estime d'elle même. C'était son premier rendez vous, et je l'ai cernée assez rapidement. Elle accélère le pas. Je crois qu'elle commence sérieusement à se douter de quelque chose, ce qui est tout à fait humain. Pas une seule fois l'ai-je vu sortir son portable, elle l'a sûrement oublié. Ou peut-être n'a t-il simplement plus de batterie. Par chance, en zone rurale, le signal passe très mal.Elle s'arrête. Je ralentis le pas. Elle n'a pas pu me reconnaître, j'ai changé d'apparence, de vêtements et même de parfum.
- Qui êtes vous ?
- Excusez-moi, je crois que je suis perdu. Je n'arrive pas à capter quoi que ce soit dans cet endroit minable, je suis en vacance chez un ami et impossible de retrouver le chemin. J'étais parti m'aérer l'esprit, mais il faut croire que j'ai été un peu trop loin
- Le prochain village est à 5 km d'ici. Vous pouvez me suivre si vous le souhaitez, même si, je vais être honnête, vous m'avez foutu une trouille monstre
- Désolé, j'y ai pensé mais j'avais peur d'entamer la discussion, au risque de vous effrayer.
- Votre voix m'a l'air familière, on ne se serait pas déjà rencontré par hasard ?
Et merde. J'ai pensé à tout sauf à ça. Tant pis, plus de temps à perdre.
Allongée sur un matelas d'hôpital, Cathy émerge d'un sommeil lourd. Elle ne sent aucune partie de son corps et ne parvient pas à bouger. Il règne un silence effroyable, elle ne peut qu'entendre les battements rapides de son coeur et sa respiration saccadée. Ses yeux s'accommodant peu à peu à l'obscurité, troublée par un néon à faible lueur, elle distingue une ombre à quelques mètres d'elle. Immobile. Un mannequin ? Un porte manteau ? Difficile à dire. Tout ce qu'elle sait, c'est que ce truc ne bouge pas. Ne fait pas de bruit. Un bruit sourd attire son attention.
- Y'a quelqu'un ?
Un second bruit répond au premier
- Comment ai-je atterri ici ? Putain je ne me souviens de rien, dans quelle merde est-ce que je me suis fourrée cette fois ?
L'ombre bouge. Elle parvient à distinguer des bras maintenant. De longs bras. Un homme, très grand, assez maigre, avec de très longs cheveux. Un léger clic, et la chambre se remplit de lumière. Cette « ombre » n'est autre qu'un homme, portant une sorte de perruque composée de différentes couleurs de cheveux, de différents types de cheveux. Comme si plusieurs perruques avaient été tressées ensembles pour n'en former qu'une seule, grotesque. Ce n'est qu'après qu'elle remarqua l'odeur. Au fur et à mesure que ses sens réapparaissaient, la nausée s'emparait de son être. Des bouts de chairs étaient entremêlés dans la perruque. De plusieurs couleurs. Allant du noir au rouge vif. L'homme sorti de la chambre et revint quelques secondes après avec un miroir, qu'il plaça en face d'elle, de façon à ce qu'elle puisse se voir. Et ce qu'elle aperçu eu l'effet d'un électrochoc : elle avait été scalpée à vif. Une incision allait du haut de ses paupières au bas de son cou. Alors qu'elle n'avait rien senti à présent, la douleur la frappa presque instantanément. Une brûlure intense et indescriptible, si insoutenable qu'elle s'évanouit.
En se réveillant, l'homme avait disparu. Elle était seule, face à ce grand miroir, qui se moquait d'elle. Cela ne pouvait être autre qu'un cauchemar. Pendant trois heures, elle enchaîna les crises d'angoisse. Se voir ainsi la terrifiait. Comment allait-elle retrouver une vie normale après cela ? Allait-elle au moins en retrouver une ? Survivre ? Etait-ce un serial killer ? Un type complètement taré qui s'excitait à l'idée d'infliger du mal à autrui ? S'était-elle trouvée au mauvais endroit au mauvais moment ? Non impossible. Cela ne pouvait pas être une coïncidence. Cette mise en scène grossière ne pouvait dire qu'une chose. Cet « homme » était au courant pour sa phobie. Elle essaya de passer en revue toutes les personnes qui pouvaient lui vouloir du mal, tout en la connaissant personnellement, en vain. Petit à petit, la mémoire lui revint. Elle avait été suivie, du moins elle le pensait. Par cet homme, qui avait soit disant « perdu son chemin » Elle ne l'avait évidemment pas cru, mais devait jouer l'innocente afin de garder le contrôle de la situation. Puis, trou noir. Impossible de se souvenir du reste. Il faut croire qu'elle l'avait perdu, ce contrôle. Tout ce qu'elle savait, c'est que ce mec était complètement malade, et faisait preuve d'un sadisme sans pareil.
Encore ce léger bruit sourd. L'homme apparu, dans l'entrebâillement de la porte, sans la longue perruque cette fois, mais en arborant une plus courte qui manqua de la faire vomir. Elle reconnu sa teinture. La peau de son crâne, encore humide et imbibée de sang, collait à son crâne exempt de cheveux sans problème. Il tenait une soucoupe transparente dans laquelle reposait une sorte de poudre blanche. Etait-ce de la drogue ? Pour soulager la douleur ? Il s'approcha, examina la chair, qui, à l'air libre, avait commencé à attirer les mouches, et pris la fameuse poudre. Il la saupoudra sur sa plaie béante, et c'est à ce moment là qu'elle compris. Ce n'était pas de la drogue mais du sel qu'il commença à frotter énergiquement, puis elle perdit connaissance. Seulement quelques minutes après elle se réveilla. Il lui avait injecté une sorte de sérum pour la garder consciente le plus longtemps possible. La scène se déroulait sous ses yeux, à travers le miroir. Le visage de l'homme était impassible. Pourquoi faire une chose pareille si il n'y prenait aucun plaisir malsain ? Ou peut-être le cachait-il ? Le supplice dura une éternité. Après la première heure, elle avait abandonné. Elle ne lui donnerait plus satisfaction. Elle ne se débattrait plus, aussi dur fusse t-il. Tout ce qu'elle souhaitait à présent, c'était de crever. A quoi bon vivre si c'est pour être absolument méconnaissable ? Etre transformée en monstre ? Pointée du doigt, chaque jour, par des gosses encore trop jeunes pour réaliser l'impolitesse de leurs actes ?
Le supplice du sel eu lieu chaque jour, pendant plusieurs jours, qu'elle ne saurait compter. Elle pensait qu'à force, elle pourrait s'habituer à la douleur mais ce fût impossible. Dès qu'il quittait la pièce, elle s'effondrait, refusant de lui donner le plaisir de la voir souffrir. Elle commençait à perdre espoir. Personne ne viendrait la chercher, elle était partie une semaine dans un trou paumé en quête de calme. Progressivement, son crâne prit une couleur sombre, et l'odeur pestilentielle qui s'en dégageait lui retournait l'estomac. Elle sentait les asticots danser sur sa chair qui avait perdu de sa fraîcheur à présent. Le miroir, immobile, la méprisait. Il se mit à pleuvoir. Elle était seule avec la pluie. Elle ne savait pas où cet homme partait dès qu'il terminait sa morbide besogne. Etait-elle dans un hôpital désaffecté ? Ou dans une pièce que lui même avait aménagé, en vue de lui faire croire qu'elle était bel et bien dans un hôpital ? Elle ne saurait y répondre. Un beau jour, il revint avec deux autres objets en main cette fois, une seringue et un scalpel. Il s'approcha d'elle et lui injecta un liquide transparent dans la veine du bras droit, et elle ne ressentit plus aucune douleur. Il prit alors le scalpel, et tout en la forçant à se regarder dans l'immense miroir, fit une incision eu dessous de sa pommette, de façon symétrique des deux côtés. Puis il y glissa ses ongles et tira, et elle le vit lui arracher sa peau jusqu'au bas du menton. Il souriait à présent, et elle était horrifiée. Elle voulait s'évanouir mais ne pouvait pas. Elle tenta de fermer les yeux, mais il lui menaça de lui ôter les paupières. Puis tout devint noir.