Trésors Perdus (3) - Tys'Naïa

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Tys'Naïa frissonnait dans la petite citerne. Elle se sentait comme un animal en cage. Malgré elle, la crainte qu'ils fussent suivis par Celeroth ou des mercenaires s'était emparée d'elle. Elle n'était absolument pas certaine d'être capable de se « débarrasser » de qui que ce soit. Chercher des trésors anciens, oui, mais tuer ? Elle n'était pas une meurtrière.

    Elle suivait des yeux Niédar. L'Iwisien lui avait arraché sa lampe des mains pour partir à la recherche d'un indice sur les murs de la salle. Il s'était arrêté pour inspecter un détail. Elle le vit alors poser à terre son paquetage pour en sortir la lakhésis de Grachéos. Que faisait-il ? Espérait-il trouver un indice supplémentaire en consultant le curieux instrument ? Mais Niédar se contenta de le poser sur le mur devant lui.

    Il y eut un déclic sonore. Un tremblement retentit dans la citerne. Tys'Naïa sentit le sol se dérober sous ses pieds.

    Elle recula précipitamment contre une paroi. Une partie du sol carrelé s'escamotait dans un raclement pour constituer un escalier aux marches étroites qui descendait encore plus profondément sous la terre. Il avait trouvé la tombe ! Tys'Naïa échangea un sourire incrédule avec son frère, mais celui-ci redevint vite sombre. Elle-même se renfrogna. N'auraient-ils pas dû se féliciter d'une telle découverte ? De vivre une telle aventure ? Ils allaient enfin trouver la véritable sépulture du héros Grachéos et peut-être un trésor mythique avec celle-ci. Qu'importaient les motivations profondes de Niédar. N'est-ce pas ?

    L'Iwisien, sans un mot mais non sans triomphe au fond des yeux, s'engagea dans l'escalier obscur. Tys'Naïa lui emboîta le pas.

    — Alors, la porcelaine, tu es prêt ? lança-t-elle d'un ton qu'elle espérait léger.

    — Je suis prêt depuis longtemps, répondit-il gravement.

    L'escalier fit un virage et bientôt les marches se révélèrent toutes recouvertes du carrelage blanc et vert des citernes. Les parois irrégulières autour d'eux, mais plutôt rapprochées, leur permettaient de bénéficier du halo de la lampe à huile. Après quelques mètres de descente, ils parvinrent à un long couloir comportant des étagères creusées dans la roche où l'on avait aligné des crânes humanoïdes.

    — Où sommes-nous ? demanda Tys'Naïa.

    — Dans une crypte, répondit Naarn derrière elle. Probablement le mausolée des Grachéens avant la chute d'Hywell.

Tys'Naïa sentit un nouveau frisson lui remonter l'échine. Elle n'aimait pas cet endroit. Elle avait l'impression que les crânes la suivaient de leur regard vide et qu'ils se moquaient d'elle. L'aventure en soi était excitante, c'était indéniable, mais Tys'Naïa avait l'impression d'être une proie qu'on attirait de plus en plus loin dans un piège dédaléen. Chaque bruit se transformait en menace diffuse et invisible. Elle savait que les peurs qui grandissaient en elle étaient infondées, nourries par l'obscurité et l'inconnu. Elle devait prendre exemple sur Niédar qui continuait son exploration sans faiblir ni frémir.

Au bout du couloir, ils se trouvèrent en haut d'un escalier, au bord de l'obscurité. Tys'Naïa repéra une rigole creusée à ses pieds. Elle était remplie d'huile végétale. Grâce à la flamme de la lampe, Tys'Naïa y mit le feu. La rigole s'enflamma, comme un serpent rougeoyant qui s'envolait. Les flammes coururent et propagèrent la lumière. La scène que découvrit Tys'Naïa lui coupa le souffle.

Ils étaient sur le seuil d'une gigantesque citerne ! On aurait sans doute pu y faire rentrer le dôme du palais de la Grande Chamane !

— Par Dra ! s'exclama Naarn.

Bientôt, l'immense lieu fut baigné d'une douce lueur. Un large escalier courait le long du mur, plongeant dans les profondeurs. Tout le long de cette rampe, des statues montaient la garde, des hommes et des femmes immaculés aux visages couverts de masques sans expression. À mi-hauteur de la citerne, une plate-forme accueillait une grande vasque qui s'était elle aussi enflammée. Derrière cette vasque, on apercevait une gargouille d'un noir profond aux dimensions impressionnantes. Non, pas une gargouille. Un dragon. La créature de pierre faisait froid dans le dos, avec ses griffes acérées et sa monstrueuse gueule ouverte sur une rangée de crocs luisants. Plus vraie que nature.

Niédar entreprit de descendre l'escalier.

Tys'Naïa le suivit en observant les statues. Ne pas voir leur visage la rendait nerveuse.

    — Pourquoi sont-ils tous masqués ? demanda-t-elle.

    — Les Grachéens forment une société secrète, expliqua Niédar. Nous ne sommes pas censés tous nous connaître, mais agir tout de même ensemble.

    — Alors lequel est Grachéos ?

    Niédar fronça les sourcils. Est-ce que la question de Tys'Naïa était idiote ? Elle ne savait pas comment interpréter le silence dans lequel s'était plongé l'Iwisien. Il regardait les statues, tour à tour. Elle comprit soudain. Il était perplexe. Il ne savait pas non plus comment reconnaître son illustre ancêtre parmi ces anonymes. Toujours plus d'énigmes.

    — Ce pourrait être n'importe qui parmi toutes ces statues, conclut-il.

    — L'une d'entre elle devrait présenter une particularité, proposa Naarn. Séparons-nous.

    Niédar acquiesça, s'approchant d'une des figures de pierre. Naarn choisit de descendre tout en bas de l'escalier. Tys'Naïa commença à comparer les sculptures près de l'endroit où ils étaient entrés.

    Elle hésita tout d'abord à toucher les statues puis surmonta ses réticences. Il fallait bien les observer de près. Aucune ne comportait d'inscription. Il y avait des hommes comme des femmes. Leurs vêtements différaient, mais ils ne présentaient aucune caractéristique remarquable. En tournant autour, Tys'Naïa finit par remarquer un petit logement en haut des nuques. On pouvait sans doute y glisser quelque chose. La pierre des statues, examinée de près, était laiteuse, peut-être légèrement translucide par endroits.

    — Si on les éclairait... dit-elle pour elle-même.

    — Qu'est-ce que tu marmonnes, Tys ? demanda Naarn plus bas.

    — Je ne marmonne pas, protesta-t-elle. Eh, la porcelaine, appela-t-elle ensuite, rends-moi ma lampe, j'ai peut-être trouvé quelque chose.

    Naarn et Niédar remontèrent l'escalier à sa rencontre et Niédar lui rendit la lampe. Tys'Naïa n'était pas très grande, mais en tendant le bras bien haut, elle parvint à glisser la flamme dans le trou derrière la tête de la statue. De l'autre côté, elle entendit son frère siffler d'admiration.

    — Bien joué Tys ! s'écria-t-il.

    À la lumière, la roche laiteuse était devenue translucide et l'on devinait à travers la forme d'un corps momifié. Ce n'étaient pas des statues, c'étaient des sarcophages ! Pourtant, aucune marque dans la pierre ne laissait penser qu'on pût les ouvrir. Par quel prodige avait-on pu y enfermer ces dépouilles ?

    — C'est lui ? interrogea Tys'Naïa avec espoir.

    — On distingue mal les traits du visage, commenta Naarn.

    — Non, trancha Niédar d'un ton sec. Essayons les autres statues.

    À nouveau, Niédar s'empara brusquement de la lampe, l'arrachant des mains de Tys'Naïa, afin de conduire lui-même l'expérience. Toutes les statues présentaient le même phénomène. Elles abritaient toutes des momies grachéennes, mais aucune ne semblait être celle du héros. Tys'Naïa sentit que Niédar perdait patience.

    Quand Niédar arriva à mi-chemin, au niveau de la gargouille, il semblait plus fébrile que jamais. Après plusieurs essais sans succès, il lâcha un cri de triomphe.

    Tys'Naïa retint son souffle.

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant