Le conte de Dénétor

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Je me rappelle de ce jour comme si je le vivais en ce même instant. Les nuages noirs se rejoignaient inexorablement, refermant leurs ombres sur le champ de bataille. Quant à moi, je sombrais, inerte, dans les ténèbres. Mon corps était étalé sur le sable brûlant de cette plage, mais mon esprit, lui, se noyait. J'étais à la fois inconscient, mais tellement conscient de ce qu'il se passait autour de moi. Les cris des hommes et femmes qui se battaient, ainsi que le bruit du choc strident des épées, parvenaient à mes oreilles tels des échos lointains, pourtant si proches de moi, s'étouffant dans des halètements sourds. Je croyais avoir enfin rejoint les étoiles, quand soudain, un homme stoppa mon envol ainsi que ma noyade, soulevant mon corps inerte dans ses bras musclés. C'est à cet instant que j'ouvris les yeux, pour entrevoir ses lèvres bouger, son regard s'abaissant brièvement sur moi : « Qu'est-ce que tu faisais ici petit ?! Tu es fou ? » Cria-t-il. Je ne pus lui adresser de réponse, m'évanouissant dans les bras de mon sauveur.

Cette nuit-là, je fis un terrible cauchemar, pris en tenaille par la tristesse, et la détresse, je venais de quitter tout ce que j'aimais pour partir loin, sans dire au revoir à ceux que j'aimais. Je me retrouvai ainsi seul face à un monstre aussi noir qu'une nuit sans étoiles et bien plus profond que le plus sombre des océans. Lorsque je me réveillai, Dénétor était là, penché au-dessus de moi. C'était un homme d'âge mur, à la mâchoire saillante. Il avait de petits yeux cachés sous de gros sourcils broussailleux, et ses bras ainsi que tout son corps étaient musclés, mais ce n'était pas un soldat. C'était un charbonnier, un boulanger, un pêcheur. Quant à moi, je ne me rappelai plus de qui j'étais, d'où je venais, ou de ce que je faisais avant de le rencontrer. Tout ce dont je me rappelai, c'était qu'il y a un mois de cela, je m'étais retrouvé inconscient au beau milieu d'un champ de bataille. Dénétor s'était aventuré un peu plus loin de son coin de pêche habituel, car il avait entendu une rumeur, qui parlait d'un poisson énorme, au-delà du récif. C'est là qu'il m'avait vu. Il n'a pas hésité une seule seconde avant de traverser les chocs d'épées pour me sauver.

« Il est temps de se lever petit, j'ai encore besoin de ton aide ce matin » dit-il en coupant court à mes pensées. Je n'étais pas très bavard et donc je ne lui répondis pas. Je me levai afin de l'aider à la boulangerie, ses enfants n'étant pas encore assez grands pour l'y aider. Ce matin-là, je fis cuire la pâte pour le pain, et disposai les pains cuits sur les étagères de la boulangerie, comme j'avais pu le faire tant de fois. Il y régnait une atmosphère douce et chaleureuse, j'y étais en sécurité et m'y plaisais. Mais quelque chose me manquait, je ne savais ni trop pourquoi, ni comment, mais je le sentais. Je n'aurais su dire ce que c'était, mais j'en étais sûr, ma place n'était pas ici.

J'étais arrivé dans un but précis, et c'est ainsi que je décidai de quitter la boulangerie à la nuit tombée. Mais il me fallait de quoi subsister jusqu'à la prochaine ville. À l'heure du goûter, je volai plusieurs miches de pain, ainsi que différentes pâtisseries, remplis deux gourdes d'eau et montai dans ma chambre. Je profitai du miroir qui était sur le mur pour me regarder. Je n'étais pas bien grand, et maigre, j'avais le visage fin et de petits yeux, ils ressemblaient presque à ceux d'un chat. J'avais un air blasé et mes sourcils droits n'aidaient pas à améliorer cet air. Mais surtout, j'avais les doigts longs, plus longs que la normale. Ayant fini de juger de l'aspect de ma personne chétive, je rassemblai mes affaires. Dénétor m'avait trouvé avec des bagues dans la main. Ces bagues étaient liées entre elles par des chaînes et le tout était fait d'un alliage qu'il n'avait jamais vu auparavant. J'hésitai un instant à les lui laisser, il m'avait sauvé la vie, et le prix de ces bagues avait l'air inestimable, il aurait pu avoir une vie plus agréable en les vendant. Mais ces bagues étaient peut-être un indice sur l'endroit d'où je venais. Après réflexion, je décidai de les prendre avec moi, et c'est ainsi qu'à la nuit tombée, je quittai la ville de Theorhul.


Je ne connaissais pas ce monde et je ne pus que suivre un chemin qui m'amena jusqu'à une ville, qui était tout le contraire de Theorhul. Cette ville-là n'était pas le genre de ville fréquentable et malheureusement, c'est ici que mon aventure s'arrêta. J'avais fait l'erreur de m'engouffrer dans les ruelles de cette ville, et tout ce dont je me rappelle, c'est le sang ; le sang sur mon visage ; mon sang. Je me rappelle aussi d'une chevelure comme je n'en avais jamais vu, une chevelure d'un blanc nacré recouvert du marron de la boue, ces yeux qui me regardaient mourir étaient ceux d'une jeune fille, et à ce moment là, je pressentis quelque chose en elle, je la connaissais. Je tombai en arrière et l'effet de mon corps s'étalant avec fracas sur le sol ne fit en moi que le bruit et la sensation d'une chute dans l'eau, et sous cette mer sombre, je vis Dénétor, réciter à ses enfants leur conte préféré tandis que je rejoignais les cieux.

"Il était une fois un petit garçon qui venait du ciel. C'était une petite étoile qui veillait avec toutes les autres étoiles sur nous, mais qui ne pouvait agir pour nous aider lorsque nous en avions besoin. C'était un soir où deux petits enfants n'arrivaient pas à dormir ; la petite étoile les vit, et eut envie de les aider. Elle descendit alors sur terre voir ces deux enfants afin de leur conter son histoire." Et tout à coup, cela me rappela d'où je venais et ce que j'étais venu faire. Ma mémoire étant revenue, j'émergeai de cet océan sombre pour me retrouver parmi les étoiles, auprès de ma famille.

Le conte de DénétorWhere stories live. Discover now