Les étés en Géorgie étaient connus pour être chauds et humides, celui-là ne faisait pas exception. C'était même entre juin et septembre qu'il pleuvait le plus. Les Géorgiens, entre deux averses, se prélassaient au soleil, car quel que soit le temps, l'été était synonyme de vacances, de barbecues, d'apéro en terrasse et de grasses matinées pour qui le pouvait.
Mais pour les artisans, l'été était aussi surtout synonyme d'emploi du temps surchargé, et de nouveaux clients. Généralement, on avait surtout affaire à des habitués, c'était l'effet petite ville : on faisait appel à son plombier, son serrurier, son électricien, son couvreur. Mais en été, tout était bouleversé, entre les vacances et les touristes qui louaient des maisons à la semaine, on se retrouvait régulièrement à décrocher le téléphone avec au bout du fil des gens qui appelaient pour la première fois après avoir feuilleté l'annuaire et cherché longuement le Graal au mois d'août : un plombier pas-en-vacances et qui-pouvait-venir-vite.
Cette semaine particulièrement avait vu se remplir l'emploi du temps de Vi de manière cauchemardesque, parce que par une conjoncture incroyablement malchanceuse, elle se trouvait pour la première fois de sa courte carrière l'unique électricienne disponible en ville : en plus des vacances d'été habituelles des autres artisans, s'était ajouté coup sur coup un congé maternité et une jambe cassée.
Mais la grande chance qu'avaient sans le savoir les clients esseulés qui tombaient sur elle au pif dans l'annuaire, c'était que Vi était l'électricienne la plus gentille de toute la profession. Ce n'était pas par hasard qu'elle avait choisi un métier où on rendait service aux gens, aider et se rendre utile était presque une obsession chez elle. Ça et démonter des appareils et des machines pour voir ce qui clochait dedans. Elle adorait littéralement son boulot, on ne pouvait pas la rendre plus heureuse qu'en la mettant devant un tableau électrique aussi hystérique qu'une guirlande de Noël, un chauffe-eau devenu schizophrène, ou une prise qui menaçait de prendre feu.
Depuis trois semaines, elle ne faisait quasiment que travailler. Elle acceptait de faire des heures supplémentaires aberrantes, d'aller chez des clients les dimanches, et même de ramener du petit électroménager chez elle à réparer le soir pour le lendemain. Ses collègues plaisantaient sur le fait qu'elle était une esclave ou un pigeon et qu'elle ne savait pas dire non, mais Vi s'en fichait.
Sa maison était en train de devenir un taudis dégueulasse, elle n'avait rien porté d'autre que ses vêtements de travail ou son pyjama depuis plus de six jours, ses tables de salon, salle à manger et même cuisine disparaissaient sous les outils, les composants électriques et les cendriers pleins, et elle buvait beaucoup trop de café... mais en contrepartie, les petites vieilles à qui elle remettait le jus un dimanche matin la remerciaient quasiment les larmes aux yeux, elle commençait à envisager de se construire un abri de jardin avec en guise de briques tous les pots de confiture qu'on lui offrait, les familles chez qui elle acceptait de rétablir l'eau chaude même après 20h un samedi soir étaient si soulagées qu'elles insistaient pour la garder à manger, et surtout, elle allait palper une prime de fin de mois telle qu'elle pourrait peut-être enfin faire réparer sa foutue toiture, ce qui devenait sacrément urgent, parce que c'en était au point où il pleuvait littéralement dans son grenier.Il était midi et demie, elle était bien évidemment au boulot durant sa pause, et comme souvent, elle faisait plusieurs choses à la fois : elle passait une commande à un fournisseur sur l'ordinateur, tout en mangeant des parts de pizzas et en bavardant avec son patron et seul collègue, Jorge.
L'entreprise Lopez & Fils Plomberie et Électricité était à lui, plus exactement, il l'avait héritée de son père à sa retraite. Le nom de l'entreprise était resté le même, et Jorge, qui était bien évidemment un hispanique pur jus, ne se lassait pas de faire des blagues à propos de ça, expliquant avec un grand sérieux aux clients étonnés lors de leur première visite que non, Vi, qui était par ailleurs blanche comme un cul et quasiment rousse, n'était ni son père ni son fils.
Ils s'entendaient bien tous les deux, principalement parce qu'ils avaient le même humour de merde.
VOUS LISEZ
La tempête qui vient - Tome Deux - The Walking Dead
Fiksi Penggemar« Si seulement ils avaient eu plus de temps... pas beaucoup, juste un petit peu. Un peu de temps supplémentaire. » Merle/OC, Saison 2 revisitée. (Suite de "La morte joyeuse")