Ahuna Mons

Chapitre I

Il n'existe que deux choses qui peuvent combler le cœur d'un guerrier. Le sentiment de puissance qu'il ressent après avoir vaincu un adversaire valeureux et le respect de son maître qu'il a durement acquis après de multiples sacrifices. 

Aujourd'hui, Marek est un homme comblé. Après avoir trouvé une ouverture dans la garde de Marco, son adversaire, il le frappa de toutes ses forces au niveau du plexus solaire. Au moment où ce dernier se figea, le souffle coupé, il comprit que la victoire était sienne. Son opposant était totalement à sa merci, une simple balayette lui suffit pour mettre un terme à ce combat.
Marco était son camarade mais surtout un ami proche. Leur affrontement avait pour but de déterminer lequel d'entre eux aller prendre la tête de leur unité lors de leur première expédition hors du royaume. Après un bref instant, le perdant se releva avec l'aide du vainqueur qu'il s'empressa de féliciter en le gratifiant d'un sourire complice. Aucune trace de jalousie ou de colère ne venait gâcher ce bel échange, ce qui plut aux autres membres de l'unité qui se mirent à applaudir leur nouveau chef. Applaudissements qui cessèrent lorsque leur capitaine Olivier Beaumont s'avança pour prendre la parole. 

Les jeunes soldats se mirent en rang sans qu'il ne fût nécessaire de leur en donner l'ordre. Le capitaine était le genre d'individu capable d'imposer le respect par sa simple présence. Son visage qui arborait une épaisse barbe grisonnante était celui d'une personne ayant vécu milles vies, ou peut être était-ce celui de quelqu'un qui en a arraché un millier à ses ennemis ? Voilà le genre de question qu'il valait mieux ne pas se poser. 

— Je suppose que je ne peux rien tirer de mieux de vous après ces deux années à vous former. Vous avez au moins cessé de pleurnicher lorsque l'on vous cogne un peu trop fort.
Cela est sans doute difficile à croire, mais c'était là le premier compliment depuis le début de leur formation. 

— Bien, maintenant vous me ferez le plaisir de déguerpir d'ici et de retourner vous changer pendant que je m'entretiens avec Marek.

Tout le monde s'exécuta et au pas de course, sauf le principal intéressé bien qui resta parfaitement immobile malgré la fatigue.

— Repos gamin, annonça le supérieur au jeune homme qu'il scruta de haut en bas.

Le jeune homme qui se tenait droit devant lui venait à peine d'entrer dans sa vingtième-quatrième année. Il n'était pas très grand, mais sa carrure de soldat lui conférait une certaine autorité. Sa barbe de deux jours et son teint légèrement plus halé que ses camarades le rendait populaire auprès de la gente féminine. Il n'avait toutefois rien d'un jeune homme qui passe son temps à courir après les femmes, pour le moment il choisit de se concentrer intégralement sur sa carrière militaire.

— Bien chef, répondit Marek soulagé de pouvoir se détendre.

— Je ne me rappelle pas t'avoir autorisé à prendre la parole donc tu vas la fermer et ouvrir bien grand tes oreilles. Ce que je vais te dire te sauvera peut être la vie à l'avenir. Marek ne sentit pas le besoin d'acquiescer, la moindre réponse ou signe d'approbation sera sanctionné et vu son état, il n'était pas en l'état d'encaissé un coup de cette force de la nature.

— Suis-moi.

Marek obtempéra et suivi Olivier jusqu'aux limites de la zone d'entrainement. La caserne était construite en hauteur et offrait une vue imprenable sur la partie sud du royaume. En regardant au loin il repéra la rue où il habitait avec sa mère et sa sœur, en portant son regard un peu plus haut, les portes menant à l'extérieur du royaume semblaient l'attendre. Finalement son regard se posa inévitablement sur Ahuna, la montagne située à quelques kilomètres du territoire et qui entourait l'ensemble du royaume et qui avait donné son nom à celui-ci. Montagne n'est peut-être pas le terme exact, il s'agit plutôt d'immenses et larges pics sombres plantés dans le sol cachant l'horizon mais offrant une protection face aux dangers extérieurs.

— Dès demain tu seras responsable d'une des unités envoyées en renforts au sud du royaume afin d'apaiser les tensions avec les siliciens.
  
Olivier s'arrêta un instant afin de dévisager Marek. Son père, un soldat originaire du royaume n'a plus donné signe de vie depuis le début du conflit avec les siliciens. Sa mère quant à elle, est originaire d'une famille ayant quitté Silice pour se réfugier à l'intérieur d'Ahuna durant la crise d'il y a cinquante ans, ayant contrait le royaume d'accueillir de nombreuses familles étrangères. Evidemment cette situation engendra des doutes concernant les motivations et la loyauté du jeune homme. Propos qui n'intéressèrent guère le capitaine. L'unité qu'il envoya au combat était composée d'individus disciplinés et dotés d'une volonté qu'il espérait à toute épreuve.
Marek devina à quoi pensait Olivier et, ignorant à quel point ce dernier lui faisait confiance, préféra mettre les choses au clair une bonne fois pour toute.

— Allons capitaine, il est un peu tard pour me soupçonner de passer à l'ennemi à cause de mes origines. D'ailleurs je suis bien loin d'être le seul dans cette situation, dans notre unité il y a Linh et Kadar...

— Je n'ai jamais dit cela, réussir à supporter deux longues années d'entrainement à mes côtés est déjà une preuve de loyauté !

Les deux hommes se mirent à rire bruyamment. Ces moments de complicité étant plutôt rare, ils comprirent au fond d'eux qu'une page de leur existence était sur le point de se tourner.

— Plus sérieusement mon garçon, je pense que tu as conscience de la responsabilité qui t'incombe désormais.

— Evidemment mais je suis étonné de vous voir me poser des questions aussi banales, osa répliquer Marek. Quel sujet n'osez-vous pas aborder ? Tout cela ne vous ressemble pas.

— Bon ! Ecoutes moi attentivement, reprit brusquement Olivier en posant sa main lourde sur l'épaule fatiguée de son disciple. Je serai bref et bien entendu ce que je vais te dire restera entre nous, du moins jusqu'à ton départ. Compris ?

En guise de réponse, il obtint un hochement de tête de la part du garçon quelque peu surpris.

— La royauté n'est plus qu'une mascarade. Sartorius notre roi, bien qu'étant un brave homme plein de bonne volonté, a vu son pouvoir diminué par la mainmise des Gardiens, nos soi-disant protecteurs. La véritable épreuve n'est pas de réussir à conduire et diriger tes hommes à l'extérieur mais bien de saisir une opportunité unique de découvrir la vérité sur notre monde et sur le paradigme qui nous est imposé.
Cette fois, c'est un rire qu'Olivier eut en retour.

— Je pensais que tu serais assez intelligent pour m'écouter, lança le capitaine visiblement irrité par ce manque de respect.
       
— Non c'est simplement... que cette mise en scène n'était pas nécessaire, surtout pour m'annoncer des choses aussi évidentes. Nous devons bien admettre que nous sommes parfaitement en sécurité ici mais l'attitude des Gardiens me déplaît tout autant qu'à vous et je ne sais pas s'ils ont une quelconque objectif secret, encore moins pourquoi le roi reste aussi passif à leur égard, j'espère que cette mission m'apportera de nombreux éclaircissements.
La réponse plu à son interlocuteur. Son visage toujours crispé se détendit pour une fois et il se permit même de donner une claque amicale sur l'épaule de son jeune disciple.
En contrebas, la vision d'une ville paisible s'offrait à eux. Bien qu'il trouve sa vie trop ennuyeuse dans ce royaume à l'abri de tout danger, les moments passés avec sa famille lui manqueront certainement. Toutefois sa détermination était plus forte que ses sentiments personnels, sans doute parce qu'il ignorait à ce moment-là qu'une telle vision du royaume ne se représenterait plus jamais à lui.

— Promets-moi simplement d'être vigilant, dit Olivier, même moi je ne saurai te dire avec précisions quelques épreuves tu vas de voir surmonter. Ne fais confiance qu'à toi et, si tu en as le courage, à tes meilleurs hommes. Et bien entendu...

— Je sais, l'interrompit Marek. Nul ne va vers l'est.

— Nul ne va vers l'est !

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