Chapitre 6

1.4K 192 156
                                    

Jamais la figure monumentale du château n'avait semblé aussi rassurante aux yeux de Lyssandre. Jamais il n'avait éprouvé tel soulagement à s'y abriter lorsque le convoi pénétra le grand portail au Sud de la structure palatiale.

Le roi était descendu de cheval et avait abandonné toute responsabilité, toute obligation. Peu lui importait les mesures prises pour sa sécurité et pour celle de ses gens. Peu lui importait aussi la crise que l'événement encore frais venait d'enclencher. Peu lui importait tous ces détails anodins qui permettaient pourtant à Loajess de fonctionner et de se prémunir de pareilles situations.

Lyssandre trouva refuge dans son bureau malgré la tentation grandissante qui lui soufflait de se terrer dans ses appartements. Il y serait seul, personne ne se risquerait à le déranger. Dans cette pièce naguère occupée par son père, les ministres comme les courtisans pouvaient se risquer à le rejoindre. Aucun ne le fit. Peut-être parce qu'il craignait une potentielle réaction incontrôlée, mais plus sûrement car le château était tout à fait capable de faire face sans lui.

Cette pensée l'obnubila aussi farouchement que la mort aurait pu le faucher. Ses ministres avaient tenu le Royaume à bout de bras durant les deux semaines écoulées ainsi que pendant la période durant laquelle Soann se mourait. Ils pouvaient poursuivre ainsi encore longtemps et il y avait de fortes chances pour qu'ils l'espèrent, pour qu'ils souhaitent écarter cet ignorant du trône. En faire un roi fantoche, une figure vide, un écrin juste bon à recueillir les traditions auxquelles Loajess était accroché. Eux aussi l'étaient, au fond, les vieilles familles font ils étaient issus s'agrippaient aux vieux principes, aux mœurs poussiéreux, mais ils préféraient l'opportunité du triomphe aux valeurs factices dont ils se réclamaient les détenteurs. Dans l'idée d'une monarchie guerrière et inébranlable, Lyssandre apparaissait comme un gêneur et il comprenait désormais l'ampleur de ce que cela pouvait bien signifier.

On avait tenté de se débarrasser de lui, de se débarrasser du roi, de laver le trône de sa présence. Outre le fait qu'on avait osé s'en prendre à une figure aussi emblématique que celle du souverain, cela induisait une interrogation : pourquoi ? Pourquoi tenter de l'abattre dans un pareil instant ? Pour donner l'exemple, pour faire comprendre au jeune roi que son titre nouvellement acquis ne le préserverait pas bien longtemps ?

Pour lui rappeler la malédiction qui pesait sur la tête de cette illustre famille ?

Lyssandre, retranché dans son bureau, songeait à cette question. Sa mère était morte, son père également, son frère avait trépassé tragiquement lui aussi. Les rois et leur entourage semblaient promis à un destin tragique. Le visage fou de son agresseur aurait pu être la dernière chose qu'il aurait vue. Lyssandre se demanda alors quand arriverait son tour ? Quel visage emprunterait la mort ? Celle d'une flèche perdue, d'une hache solidement plantée dans le crâne, d'une épée figée dans la poitrine, d'une maladie féroce et incurable ? Combien de temps lui restait-il avant que la mort ne l'embrasse et ne l'emporte à son tour ?

Au nom de cette pensée, il faillit quitter le bureau royal pour rejoindre la crypte à nouveau. Cet endroit lui inspirait le deuil inaccompli et la peur que lui inspirait la mort. Il aurait cependant aimé s'y rendre pour poser à nouveau sa main sur la plaque funéraire d'Hélios et lui susurrer, comme il aurait pu le faire à l'égard de Soann :

— Cette fois, j'ai bien failli te rejoindre, mon frère.

Et s'il avait été assez courageux, s'il avait tiré de cet événement une leçon de bravoure, il aurait pu ajouter :

— Attends encore un peu, je te rejoindrai lorsque le moment sera venu. Permets donc que je reste encore un peu sur cette terre, ensuite nous nous reverrons.

Longue vie au roi [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant