The ranch of secrets

3.

Jared

Ma jument hennit dans un souffle, son regard brun cherchant en vain une parade à la douleur. Ses pattes arrière, comme paralysées, traînent sur la paille de son box, comme un écho dévastateur des vagues de feu qui parcourent son abdomen.

Je jure entre mes dents et lui caresse le flanc, navré de ne lui être en réalité, d'aucun secours. J'ai vu naître Callypso dix ans auparavant et, même si cela n'a pas été ma première expérience en la matière, le regard bistre de la pouliche m'a touché avec une rare intensité.

Chétive, Callypso a failli mourir dans les jours suivant sa naissance, mais j'ai veillé sur elle sans relâche, l'incitant à se dresser sur ses pattes. Je me souviens encore de mon sentiment de victoire lorsqu'elle y est parvenue, explosant les pronostics du vétérinaire.

Depuis, nous sommes inséparables.

— Barry ne peut pas venir, m'annonce Cade en me rejoignant dans l'écurie, un tic nerveux retroussant sa lèvre supérieure, signe qu'il est aussi angoissé que moi. Il est à la ferme des Peters et ne sera pas rentré avant ce soir.

— Bon sang ! pesté-je en enfouissant une main agacée dans mon épaisse chevelure blonde. Je ne vais pas regarder Callypso mourir sans rien tenter !

Cade détaille mes traits tendus, conscient de ce que Callypso représente pour moi. Le même amour des chevaux nous unit, au-delà de notre attachement au ranch et aux plaines de notre propriété.

— Il a proposé d'envoyer Price, ajouta-t-il, laconique.

— Price ? Connais pas. C'est un nouveau ?

— Hayley Price.

Je croise le regard placide de mon cadet, muet de stupeur. Cade hausse les épaules avec une désinvolture feinte, masquant une émotion qu'il tait depuis des mois.

Depuis la mort de Lowell, nous nous raccrochons à ce semblant d'apparence qui préserve la sérénité sur le ranch, aussi la puissance de la colère qui déferle sur moi est-elle inédite.

Inédite ? Non, j'ai juste réussi à la contenir, réussi à me persuader qu'elle n'était qu'un mince filet évanescent.

Sans blague ?

Je grince des dents, conscient que je n'ai jamais été dupe, mais que faire semblant a toujours été plus simple.

— Il fallait s'attendre à ce qu'elle revienne un jour ou l'autre...

— Ouais ben elle était mieux là où elle était, crois-moi ! Aboié-je en sentant la rage pulser contre mes tempes.

Cade hoche la tête en signe d'assentiment, plus mal à l'aise que furieux pour sa part. Je le connais assez pour suivre le cheminement de ses réflexions : Lowell a été proche de chacune des trois sœurs Price, d'une façon que l'esprit de Cade parvient difficilement à concilier.

Peut-être sommes-nous simplement vieux jeu ? La seule chose que nous devons retenir, c'est qu'il a épousé Crystal. Les autres...

Je grimace.

Pour ma part, à l'idée des relations entretenues par Lowell avec les Price, je sens un goût âpre envahir ma bouche. Et dix-huit mois ont beau être passés depuis la mort de mon frère, je n'ai pas très envie de revoir celle qui est en partie responsable de l'accident qui l'a tué.

Callypso hennit de nouveau, frustrée de ne pouvoir expulser la douleur de son corps en même temps que son poulain. Je caresse la robe trempée de sueur, puis jure de nouveau entre mes dents.