Chapitre 3 - Tombé du ciel

800 116 104
                                    


Emile disposait minutieusement les billes autours des fraisiers. Assise en tailleur, le menton dans la main, je le regardais faire. La curiosité autour de ce drôle de filet me brûlait d'engager la conversation. Je cherchais un moyen de lancer habilement mon père sur mon arrivée ici, sans risquer de l'embêter.

— Emile, c'est dedans ces fraisiers que tu m'as trouvée ? Je... les ai pas trop cassés ?

Mon grand-père préféré jeta un coup d'œil pensif à son potager.

— Oh non, je ne crois pas. Tu avais bien tassé la terre sous toi, mais les pieds n'ont rien eu.

— Ah, super...

Il continua à placer le repousse-escargot. Le vent soufflait de plus en plus. Je levai les yeux vers les nuages, ils bougeaient assez vite pour qu'on le remarque.

— Et... J'étais inconscinte, c'est ça ?

— Oui, tu es restée dans les vapes, jusqu'à ce que Jeanne trouve un moyen de te réanimer.

— Comment a-t-elle fait ?

— Oh, une recette de grand-mère ! Elle sait beaucoup de choses, maman.

— Et j'étais seule ? enchaînai-je. Je veux dire... il y avait rien avec moi ?

— Humm, c'est possible, pitchoune. Si tu veux, on demandera à Jeanne, peut-être qu'elle a une meilleure mémoire que moi.

— Oui ! m'exclamai-je en me redressant.

Emile se tourna vers moi ; je remarquai avec horreur qu'il avait une once d'inquiétude dans le regard.

— Emile, je vous aime, toi et Jeanne, l'assurai-je aussitôt. Ces questions sont de la curosité.

— Je me doute bien, pitchoune...

Il referma sa boite de billes.

— J'ai peur que tu partes de la maison, se confessa-t-il soudain. Tu es notre don du ciel, à tous les deux, hein, tu le sais. Tu nous rends heureux, on t'aime très fort, pitchoune. Ta vie d'avant a l'air de t'intéresser, c'est... je pense que c'est normal, mais... Tu n'as pas l'air de venir d'ici, personne ne te cherche, donc, tu vois, j'ai peur que tu partes et que tu ne trouves rien d'intéressant pour toi. Je ne veux pas que tu sois malheureuse, pitchoune...

Mon père d'adoption avait l'air tout troublé. J'aurais voulu répondre des mots réconfortants, mais j'avais du mal à formuler de telles phrases. Donc, n'écoutant que mon cœur, je le pris dans mes bras. Il me serra fort en retour, avec sa force de grand-père actif.

Après quelques instants, il se recula, et me dit d'un ton doux :

— Je vais aider ta mère pour le gâteau, va. Prends encore un peu l'air si tu veux, avant qu'il pleuve.

Il repartit dans la maison. Une fois la porte fermée, je me laissai retomber par terre en soupirant.

Evidemment, sans être une flèche en français, je comprenais ce qu'il voulait dire.

Je n'avais pas vraiment envie de partir d'ici. Mais alors que je pensais ne jamais avoir de curiosité pour ma vie d'avant, retrouver un souvenir était venu chambouler mes certitudes. Ce filet. J'aurais bien voulu savoir. D'où venait-il ? D'où est-ce que je venais, moi ? Emile avait raison, je n'avais pas l'impression que ce serait hors de cette maison que je trouverais mes réponses. La télé m'offrait un regard sur le monde, mais ce monde ne m'aidait pas à comprendre.

Maugréant, j'appuyai mes mains sur le sol et laissai ma tête partir en arrière. Quelques inspirations en direction des nuages m'aidèrent à me sentir plus calme.

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant