1. Tirs croisés

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Yuito n'en démordait pas. Il était persuadé qu'Okito, son demi-frère honni, était un traître à l'alliance des troisièmes années. Selon lui, il était une taupe de Juro. Celui-ci tentait de rallier à la cause la classe des deuxièmes années dirigée par Naoki et dont Okito il faisait partie.

Les informations partagées lors de la dernière réunion sur le toit s'étaient rapidement répandues au sein de l'établissement Nintaï. À présent, tout étudiant vérifiait de quel côté était chacun et s'il existait accessoirement une personne vendant de l'herbe  sans qu'il soit nécessaire de perdre un bras pour s'en procurer.

Yuito, « La Banane », se fiait à sa prédominance physique et instinctive. Dans les deux cas, elle prenait une forme massive, tel un marteau appelé à enfoncer le clou. Son corps était un amas de muscles robustes et son ossature conséquente, comme en attestait sa large mâchoire. De l'artillerie lourde, ce Yuito ! Tout semblait compact chez lui. Ses sourcils drus, surplombés d'un front bosselé, plongeaient sur des imitations de Ray-ban noires, derrière lesquelles son regard était fixe et pesant. Il parlait rarement et sa bouche était close par des lèvres dures et épaisses. Quant à son nez, c'était un tarin. Une personne ne tenant pas à la vie aurait dit de Yuito qu'il n'était qu'un tarin avec deux jambes et deux bras.

Depuis une demi-heure abrité par un recoin du toit, face à la pluie déferlante, Nino crachait sur la Banane qu'il jugeait n'être rien d'autre qu'une carapace de mauvaise foi.

Les deux se connaissaient depuis longtemps et lorsque Yuito n'était pas muet, il rabattait les oreilles de Nino en déclamant son courroux contre « Celui-qui-n'aurait-jamais-dû-naître » – Okito.

Nino se leva, ouvrit la porte métallique du toit et m'incita d'un geste sec à le suivre dans les escaliers. Ses blessures issues de notre passage à tabac dans la ruelle avaient complètement cicatrisé, à l'instar de celles de Minoru.

« Ce sont des demi-frères, de mères différentes mais conçus par le même homme, qui se traitent de bâtards. Ils vivent à couteaux tirés et nous rendent la vie infernale à Nintaï. Comme si elle ne l'était déjà pas assez !

Je lui emboîtai le pas. Nino avait déjà un palier d'avance sur moi. Je me dépêchai de le rattraper en sautant quelques marches un peu glissantes.

— C'est à point ? hasardai-je. À l'exception de la fois où Yuito a coincé Okito après les cours, ils ne se sont pas rentrés dedans. Un incident en six mois, ce n'est pas si mal, non ?

Les occasions ne manquaient pas. Tout le monde venait à un moment ou à un autre à se croiser dans les couloirs sombres de l'établissement.

— Crois-moi, Clé-à-molette, ce n'est pas un miracle ! rétorqua Nino en tordant ses lèvres minces. Autant que possible, on essaie d'éviter qu'ils se rencontrent. Yuito en est frustré. Heureusement que le cannabis n'est pas légalisé ici, parce que sinon il en fumerait constamment pour calmer ses nerfs ! ».

Je ramassai un papier gras sur le linoléum crasseux du couloir du deuxième étage, le fichai dans ma poche pour le jeter plus tard et hochai la tête, désespérée par la situation.

Nino poursuivit la descente en direction du rez-de-chaussée.

« Comment ça se passe en France ? m'interrogea-t-il en rejetant la nuque en arrière. 

— Le cannabis est illégal mais n'importe qui peut s'en procurer facilement.

Il sortit une cigarette d'une poche de son uniforme réglementaire noir, la planta dans sa bouche et l'alluma négligemment sur la dernière marche.

— Ça ne m'étonne pas. En voyant ta tronche...

— D'abord, merci. Ensuite, ce serait toujours mieux que de me désintégrer la paroi nasale au solvant ».

Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant