Le ciel était clair, dégagé de tout nuage intempestif. C'était un agréable crépuscule de fin d'été qui s'alanguissait en même temps que la descente du soleil. C'était l'un de ces soirs où l'on sort se promener au parc avec une veste légère ou à l'occasion duquel l'on va assister à un match de baseball en buvant une bière.
Le travail terminé, j'étais allée prendre le thé chez Maeda, la mère de Sven. Elle était fidèle à son poste de gérante de bijouterie, campée droite dans son tailleur impeccable et portait une coiffure élégante. Un bouquet de jacinthes à la main, je l'avais chaudement remerciée de mon cadeau d'anniversaire - de magnifiques boucles d'oreilles. Ensuite, Sven et moi avions pris le métro : direction l'Osaka Dome. Un match de baseball nous attendait, opposant les Chunichi Dragons de Nagoya et les Hanshin Tigers d'Osaka.
À partir de la gare d'Umeda, un flux continu d'individus habillés en jaune, noir et blanc défila en achetant tout produit qui puisse leur procurer un certain confort durant le match : boissons, nourritures, ballons, mini battes de baseball, drapeaux, écharpes nouées autour de la tête.
En arrivant au stade, j'eus le sentiment que c'était une affaire sérieuse. L'Osaka Dome servait également d'immense salle de concert, ayant notamment accueilli AC/DC, les Guns n' Roses, les Rolling Stones, Paul McCartney ou encore David Bowie. C'était une énorme caisse de résonnance où les chants, les trompettes et la musique se répercutaient sur les tribunes des supporters.
Une légende urbaine amusante, celle de la malédiction du Colonel, poursuivait l'équipe des Tigres. En 1985, lorsque les Hanshin Tigers avaient remporté le championnat japonais les supporters de l'équipe s'étaient rassemblés sur le pont d'Ebisubashi, sur le canal Dotonbori. Pour célébrer leur victoire, ils avaient un par un acclamé les joueurs et à chaque nom, le supporter dont le visage correspondait le plus à son portrait se jetait à l'eau. Comme personne ne ressemblait au joueur Américain Randy Bass, les supporters surexcités avaient dérobé la statue du Colonel Sanders de KFC, qui portait la barbe, et l'avaient envoyée dans le canal. Cet incident avait maudit l'équipe, laquelle n'avait plus gagné jusqu'à ce que l'effigie soit sortie de l'eau, en 2009.
Depuis, il était interdit de plonger dans le canal Dotonbori.
Arrivés à la cinquième manche, les Dragons menaient les Tigres. A la septième, tous les supporters du stade se levèrent et libérèrent leurs ballons dans le ciel. Dès lors, ils ne cessèrent de chanter en cœur la chanson des Hanshin Tigers, même s'il était évident que l'équipe perdait.
Sven beuglait tel un hooligan décérébré en rugissant comme un tigre, à l'instar des autres supporters des Tigers. J'assistais à une émulsion de gambari, un trait propre à la culture japonaise. Il s'agissait d'un terme pour désigner le fait de travailler avec ardeur et patience, d'occuper une place et de ne pas la laisser ou encore de vouloir parvenir à celle-ci grâce à l'effort. Les implications étaient multiples, comme le fait d'étudier laborieusement, de pratiquer activement une activité et le mot pouvait servir à encourager ses amis, dans le sens « Tiens-bon ! Tu vas y arriver ! ». Depuis les années 1930, l'expression gambaru était employée pour exhorter l'enthousiasme et le travail acharné de la part de tous en vue d'un objectif commun. Historiquement, celui-ci était orienté vers la culture intensive du riz, où chaque main était nécessaire pour contrer les conditions géographiques difficiles ne laissant que peu de répit entre le moment de la plantation et de la récolte.
À présent, le fait d'avoir du temps libre mettait les Japonais mal à l'aise, ils avaient l'impression de le gaspiller. Il était bien vu de travailler dur, dans un effort sérieux et continuel, peu important les résultats. Ce raisonnement conduisait les Japonais à rester tard au travail, même s'ils se contentaient de somnoler derrière leur bureau. À l'âge de la retraite, certains se suicidaient, faute de se sentir utiles. Ainsi, les Japonais montraient leurs habilités par la fatigue alors que la mentalité générale occidentale considérait que l'habilité était plus importante que l'effort.
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Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleu
Ficción GeneralLe filet autour du trafic de drogue à Nintaï se resserre. La tension monte et la loyauté entre les factions est mise à rude épreuve. Lucie se lance à corps perdu dans les abysses des relations torturées entre les étudiants et s'intéresse de près aux...