Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleu

6. Waru Gekokujyo

[Narration : Kensei]

Je regardai Minoru, les bras croisés. Pour une fois, il ne parlait pas pour ne rien dire. Pour être franc, il avait de belles qualités. Avant qu'il ne zieute sur ma copine, je le considérais même comme l'un de mes meilleurs potes.

J'observai Takeo du coin de l'œil : il le félicitait.

Par-delà Reiji ou Nino, l'opossum avait le mérite d'être quelqu'un de prévoyant. Il savait quand se comporter objectivement et avec sérieux pour mettre sur pieds des projets. Il savait quand se comporter avec sérieux pour mettre sur pieds des projets et utiliser des informations intelligemment. En réalité, Minoru détestait être pris de court et avait besoin de garanties pour se lancer dans une aventure. Le fait que Lucie l'habille constamment de lumière le ragaillardissait. Comme s'il ne clignotait pas suffisamment à longueur de journée ! J'enfonçai les poings dans mes poches en me balançant sur ma chaise.

S'il y avait un truc de certain dans ce bas-monde, c'est que quand on aimait quelqu'un, on n'était jamais tranquille ! On devenait jaloux, possessif, anxieux. On guettait même les messages et les appels ! Moi, je n'avais pas eu de chance : je devais en plus surveiller un opossum transgénique.

Sous le bruit du concert qui se déroulait en contrebas et les conversations des autres clients du Black Stone, Takeo se mit debout et arpenta l'espace entre les tables de long, en large et en travers. Son allure trapue accentua l'impression que ses pas pesaient sur le béton. Les réflexions de Minoru l'avaient mis sur les charbons ardents.

Tournant mon verre entre mes doigts, je me demandai si la récente escalade d'agressions contre les étudiants de Nintaï n'avait pas été organisée pour créer une situation qui déclencherait inévitablement encore plus de violences... Occasionnant ainsi la destitution d'Eisei, potentiellement celle de Takeo et ouvrant les portes de Nintaï à des dealers extérieurs.

En réalité, j'étais persuadé que le nœud du problème se trouvait là : ouvrir Nintaï à des dealers... Ou à un clan yakuza.

Lucie, si elle n'avait pas été occupée par son devoir à rendre, m'aurait chuchoté à l'oreille que l'usage de la force ne pouvait que signifier l'échec de la politique. Il faudrait dire ça à Daiki ! Je tournai la tête vers le géant : il buvait les paroles de Takeo comme un disciple avec son gourou. Pitoyable. 

J'allumai une nouvelle Marlboro. Takeo était assez sûr de lui. Ou plutôt, il s'écoutait trop parler. Mika à côté de moi, fut du même avis. Il se recula sur sa chaise, après avoir terminé de me rebâcher les oreilles avec ses prétendus symptômes de rubéole. Il passa une main sur son crâne rasé et se moqua Napoléon : ses chemises étaient de plus en plus moches. J'étouffai une autre raillerie car Takeo nous fixa. Il maintint son regard mais dans le vide. Je compris qu'il réfléchissait.

Finalement, Takeo se redressa lorsque Nino vint lui dire quelque chose à l'oreille. Le premier fit signe à Reiji d'approcher d'eux. Il eut une toux grasse et pivota sur sa chaise. Les trois échangèrent des bricoles, peut-être la localisation la plus appropriée pour qu'une centaine de types se castagnent sur Osaka.

Tout à coup, Napoléon se leva et nous fit face, sa chopine de bière haute levée : « Pour le moment, si baston il y a, on dit le terrain derrière le garage Kobayashi ! Shôji s'occupera de relayer l'information ».

Voilà, le lieu était fixé.

Kobayashi ? Ils avaient raison, c'était l'endroit le plus éloigné du premier poste de police ! Reiji n'était pas fou, il les avait tous notés sur une carte pliée sous son poste dans la salle d'informatique.

*

[Narration : Lucie]

J'étais demeurée la veille confinée dans le secrétariat, épluchant de nouveau consciencieusement chaque dossier étudiant pour y déceler le moindre indice se rapportant à une organisation criminelle, lorsque soudain, Kensei passa la tête par l'encadrement de la porte du bureau. Je remarquai d'abord son regard assombri, puis ses traits tirés et enfin sa mâchoire serrée.