Ma dissertation sur les exceptions japonaises en matière de propriété intellectuelle imprimée, je m'installai dans mon canapé, les stores descendus, une tasse de chocolat chaud à la main. L'idée d'un carnage à grande échelle, me plongeait dans un état d'angoisse. C'était une peur gluante qui me collait à la peau et qui la pénétrait jusqu'à mon esprit pour mieux le dissoudre. Chacun en sortirait vivant bien sûr. Il ne serait question que de se bourrer de coups pour définir lequel des deux gangs était le plus fort.
J'allumai la télévision et éteignis le son.
Il y avait Minoru. Un doute m'assaillait quant à son attitude. J'étais consciente qu'il se sentait bien en ma compagnie. Une lame tranchait le cadre uniforme : le regard perturbé qu'il m'avait lancé pendant que nous nous faisions tailler en pièces dans la ruelle par les punks. Cet échange n'avait duré qu'un laps de temps. Pourtant, il avait agi comme un révélateur.
L'incident avait provoqué quelque chose en moi dont je ne me serais jamais crue capable : frapper. Cela en soit n'avait pas de quoi me réjouir et n'était certainement pas bénéfique à mon karma. Cependant, j'avais commis l'acte dans un seul but : protéger Minoru, coûte que coûte. Le coup avait puisé toute l'énergie de mon corps et était venu se ficher avec précision dans la mâchoire de Juro. La sensation d'un craquement avait couru le long de ma main jusqu'à mon épaule. Les os du Vélociraptor avaient dû vibrer plus fort que je ne l'avais imaginé.
Jusqu'alors, aucun évènement ne m'avait confrontée à pareille situation, même lorsque j'avais été agressée par les deux individus en rentrant à la résidence. Mettre un coup de genou à un endroit bien placé m'avait alors paru insurmontable.
Pour Minoru, je n'avais pas hésité un instant.
J'avais frappé, même si je savais que cela ne servirait à rien. Auparavant, j'aurais mille fois pesé le pour et le contre, réfléchissant à ce qui viendrait après, aux poursuites judiciaires qui en découleraient. Parce que je pensais que le droit était le seul moyen qui restait à la disposition des faibles pour se défendre et faire valoir ses droits devant un juge. La donne avait changé : dans certaines situations, le droit était inefficace et pour moi, tout un monde s'effondrait.
Ma tête s'embrumait à mesure que je songeais à Minoru.
Quoiqu'il en soit, au Black Stone, il avait été publiquement admiré grâce à son raisonnement judicieux. Je regrettais de ne pas avoir été présente mais étais heureuse qu'il récolte enfin les fruits de sa perspicacité. Une reconnaissance de la part d'Eisei ou de Takeo était le summum des trophées et des médailles à Nintaï.
*
La température avoisinait les vingt-huit degrés. Depuis les fenêtres brisées de l'établissement Nintaï, la vue donnait sur les bâtiments d'en face et les alentours bordés d'herbe jaunâtre. Parcourant le couloir crasseux, je regardai par une vitre sale une voiture passer, lorsque soudain, Shôji se matérialisa à côté de moi. Je frôlai la crise cardiaque.
— Salut, Clé-à-molette ! Ça gaze ?
La main sur le cœur comme si j'avais pu ralentir mes palpitations, je repris mon souffle :
— Bonjour, Shôji. S'il te plaît, évite de me surprendre et... De m'appeler ainsi lorsqu'il y a des professeurs à proximité ! Hé ! Tu n'es pas en cours ?
— Ah, oublie. Désolé. J't'ai vue et j't'apporte une nouvelle toute fraîche. Ça concerne Kensei.
Au lieu de le réprimander, je tendis l'oreille.
— Il a persuadé l'intégralité du club de mécanique et de la 1-A de s'allier à nous dans la bagarre contre Juro et le lycée Kawasaki...
— J'en connais qui vont être ravis !
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Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleu
Fiksi UmumLe filet autour du trafic de drogue à Nintaï se resserre. La tension monte et la loyauté entre les factions est mise à rude épreuve. Lucie se lance à corps perdu dans les abysses des relations torturées entre les étudiants et s'intéresse de près aux...