12. Rupture de Dialogue

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Je disposai du dimanche entier pour regretter mes paroles malheureuses. Puis au bout d'un moment, j'eus l'intuition qu'il ne fallait pas se décourager. Petit à petit, la colère s'exhaussa et supplanta la peine. Crue, froide. Le mot « étrangère » passait encore mais le « après tout » me restait en travers de la gorge. De plus, rien n'excusait la violence. Kensei m'avait embrassée contre ma volonté. J'avais dû utiliser les mots car la force était son atout. D'un autre côté, j'étais la première à être partie au quart de tour et lui avoir jeté un objet au visage. Il me bassinait, avec sa jalousie maladive. Puis sa réaction à l'idée « d'acide dans le sang » l'avait rendu fou et cela m'avait fait peur. Tout avait dégénéré.

J'avais hurlé « non ».

Les Japonais ne disaient pas « non », du moins jamais de manière franche et tranchée. Ils jouaient sur les subtilités du langage et de l'intonation pour ne pas être blessants. Des expressions comme « Pas vraiment », « Oui mais » ou « C'est dommage » s'employaient à tire-larigot. Mais ces nuances étaient pour moi troublantes et souvent, je ne parvenais à savoir si la personne formulait un « oui » ou un « non ».

Cette fois, mon intention avait été claire.

Pourtant, je n'aurais jamais dû avoir peur de mon copain. Ce n'était pas normal et son comportement était inexcusable. Malgré cela, j'avais également franchi des limites. Nous étions tous deux en faute. Kensei refoulait toujours ses sentiments : il ne voulait pas m'en encombrer. Que devais-je réellement penser de lui ? Qu'il me protégeait ou qu'il m'excluait de sa vie ?

Tout tournait dans ma tête. Ma sœur m'aurait défendue de revoir Kensei en me montrant le dépliant des degrés d'action – ou plutôt de l'inaction – dans le féminicide.

De lui-même, Kensei était parti et n'avait pas essayé de me recontacter. J'étais soulagée, furieuse et frustrée tout à la fois.

Il va voir de quel bois je me chauffe, celui-là ! À force de me traiter comme une chaise, il va finir par s'asseoir à côté !

*

Le lendemain, remontée à bloc, je téléphonai à Sven, qui ne répondit pas. Je composai le numéro de la bijouterie trouvé sur Internet. Je détestais les sonneries des standards téléphoniques et Maeda avait opté pour Lettre à Elise de Beethoven. La mélodie s'égrenait interminablement dans mon portable, agaçante. Je l'écartai de mon oreille. Qu'importe, je verrai Sven à l'université !

A midi, je ne l'avais pas croisé alors qu'il avait cours dans le même couloir. Je me résolus à croire qu'il devait être déjà parti et occupé à mener une négociation pour sa mère avec de gros clients.

Sortie de l'université, je passais sous l'immense cerisier qui marquait l'entrée du campus lorsque de loin, j'aperçus Shizue. J'allais la saluer avec l'intention de la surprendre.

Au moment où je posai la main sur son dos, je me retrouvai nez-à-nez avec le visage grimaçant de Jotaro.

L'image du caïd foulant des pieds le campus de droit fut pour le moins extravagante. Il poussa Shizue derrière lui pour faire face au malotru qui attaquait sa petite-amie.

Quand il vit mon expression, Jotaro me décocha un embryon de sourire et reprit une posture décontractée. Shizue était rouge pivoine. Elle arrangea sa robe et sa coiffure et fit comme si de rien n'était. Elle sourit calmement et s'enquit de ma santé mentale.

Elle fila ensuite à son cours de droit de la consommation. Jotaro et moi prîmes ensemble le chemin de l'établissement Nintaï.

« T'as vu ta tronche ? me lança-t-il. C'est la baston à venir qui te met dans cet état ? Tu te prends vraiment la tête pour des trucs insignifiants...

Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant