24. Ecartèlement d'insecte

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Après avoir subi l'intense chaleur et l'humidité estivales, chacun se réjouissait de l'air vif et de la fraîcheur de l'automne. Les moustiques se raréfiaient, les feuilles d'érable se décoloraient, se trouaient et créaient des petits tourbillons sur les trottoirs.

« Je vais au konbini, proposai-je, il n'y a plus de bière dans le réfrigérateur.

— C'est pas grave. Sur le chemin, les distributeurs ne manquent pas.

Kensei marqua une pause :

— Vraiment, tes cheveux...

— C'est bon, le coupai-je pour changer de sujet. On passe devant pour rentrer chez moi. Ça coûtera de toute façon moins cher qu'au distributeur.

— Si tu insistes... ».

Lorsque le vendeur encaissa la monnaie, il faillit faire tomber la moitié des pièces en avisant Kensei. Les deux se dévisagèrent d'un air que je ne sus saisir. J'adoptai un sourire gêné conventionnel et saluai le vendeur. Celui-ci opina, un rictus poli figé sur le visage.

Une fois de plus, je me battis avec la serrure de la porte de mon studio. Kensei craignit que les bières chauffent et l'ouvrit à ma place. Un doute absurde m'envahit l'esprit. Il s'imposa à un point tel que je commençai à en avoir mal au crâne. Je lorgnai Kei pendant qu'il retirait ses rangers. Machinalement, j'agrippai mon pendentif au bout de sa chaîne en argent. Les mots franchirent difficilement ma bouche :

« Tu connais le vendeur de ce konbini ?

— Sa bobine ne me dit rien, répondit-il, le regard sincère.

J'expulsai l'air de mes poumons et osai.

— Est-ce que tu es un yakuza ?

Les commissures de ses lèvres s'étirèrent sur une drôle d'expression. Je le sentis se contracter. Il me considéra avec la tête de l'homme à qui on fait découvrir qu'il a dix enfants cachés.

— Désolé mais t'es une siphonnée suspicieuse de première ! J'te jure... La réponse est non !

Très bien. Entre Nino et Kensei, je passais de l'allumée à la siphonnée.

Nous ne reparlâmes ni de l'épisode de Tomo, ni de mon carnage capillaire. En réalité, j'avais reçu des compliments, même de la part de mes amis de l'université. En prime, Shizue ne se sentais plus seule avec sa coupe au carré.

Je m'approchai de Kensei qui était décidément fâché par ma question et caressai sa nuque robuste. Qu'il sentait bon ! À présent, je me trouvai stupide. Je lui massai un peu le cou, puis les épaules et descendis sur les bras. Au bout de cinq minutes, ses tensions nerveuse et musculaire se relâchèrent peu à peu. Il m'embrassa. Comme toujours, j'eus l'agréable sensation d'être une Craqueline de chez Lalonde et de me laisser fondre, retourner, croquer.

Je poursuivis mon plan de bataille, lui chuchotant que ma tête me semblait moins lourde depuis que je m'étais débarrassée de ma tignasse, ce qui le fit ronchonner. La main passée sous son t-shirt, j'effleurai du bout des doigts le long renflement de la balafre dans son dos. Il ne dit plus rien et se laissa dessiner de nouvelles lignes sur la peau. Finalement, il frémit, palpa mes cheveux et me serra fermement contre lui.

Je m'interrogeai : cela faisait déjà quelques mois que nous étions ensemble, que nous nous voyions presque tous les jours et que nous passions sans cesse du domicile de l'un à l'autre. « Quelques mois » était une période à la fois courte et longue : les évènements s'étaient enchaînés et les occasions de se quitter nombreuses. Alors pourquoi mon cœur continuait-il lamentablement à danser le quadrille lorsque je le savais présent dans un périmètre de dix kilomètres ?

Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant