[Narration : Lucie]
Presque un mois s'était écoulé depuis que j'avais accompagné Sven assister à un match de baseball. Cette fois, c'était lui qui jouait sur le terrain. L'équipe de l'université devait remporter un dernier match de qualification avant « d'y aller franchement » selon les dires de Sven.
Il ne pleuvait pas. Des nuages en longues stries passaient haut dans le ciel. J'observais l'évolution des scores depuis une heure. L'équipe de Sven menait de loin. « On pourrait ensuite aller au café » m'avait-il proposé. Pour toute réponse, je lui avais mis dans la poche un sarubobo : une amulette en laine, traditionnellement de couleur rouge. L'absence de visage sur l'amulette permettait à son possesseur d'imaginer n'importe quelle expression ; elle s'adaptait ainsi à l'humeur de son maître.
À la fin du match, Sven brandit l'amulette dans ma direction en soulevant sa casquette à la manière d'un gentleman.
Nous fuîmes le stade en vitesse pour éviter les hordes de groupies de Sven qui l'attendaient avec impatience et force de glapissements. Bientôt, nous entrâmes dans notre café, au milieu des bambous, des fleurs exotiques et des coussins marron glacé. Nous commandâmes une bière Cartagena et un cocktail Dakar et trinquâmes à sa victoire.
J'estimais qu'en dépit des épisodes malvenus rattachés à mon quotidien nintaïen, diverses consolations me faisaient tenir le coup au Japon : Kensei, mes amis, les livres, le chocolat chaud, la calligraphie et les déhanchements dans les bars. Ce n'était pas mal. On se contente de peu lorsqu'il s'agit des bonnes choses.
Sven s'interrompit soudain. Comme par désenchantement, son excitation retomba. Il sembla victime d'un subit coup de pompe, peut-être dû au relâchement de ses muscles après le match. Il n'avait pas eu le temps de procéder aux étirements recommandés.
« Tu connais la dernière ?
Je fis non de la tête. Sven soupira et croisa les mains sur ses genoux.
— Leandro a encore fait des siennes... Tu vois l'assistante du prof de droit de la propriété industrielle ?
— Non ! soufflai-je. Pas elle, quand-même !
Sven prit l'air du sage qui sait tout.
— Il ne se met jamais en veilleuse ? m'exclamai-je.
Sven haussa les épaules. Je n'en revenais pas ! La femme en question avait au moins quinze ans de plus que Leandro. Il n'aurait de cesse de nous étonner !
Le métis finit d'un trait sa bière, le regard gêné :
— Ça ne durera pas plus d'une semaine. Il me l'a dit hier. Sans que j'aie pu prononcer un mot, il compléta :
— Yoshi et moi avons prévu de lui passer un savon ce soir. Réunion testostérone chez Yoshi : bière, viande et castagne si Leandro ne se range pas à notre avis ».
Je ne trouvais rien à redire. La réaction de Sven était justifiée et dans tous les cas, le terme de castagne ne sonnait pas de la même façon dans sa bouche que dans celle des nintaïens.
Leandro était prodigue en belles paroles. Pour le reste, il demeurait désespérément insensé et inconscient des conséquences de ses ruptures brutales avec ses conquêtes. Son appétit insatiable ne souffrait d'aucune barrière. Les femmes n'étaient pas insensibles à ses cheveux d'hidalgo et à son sourire pour publicité de dentifrice qui partait de biais.
Des cheveux noirs, un sourire partant de biais.
Le visage de Reizo s'imposa à mon esprit. Lorsque je le savais dans les parages, mon cœur battait d'une manière différente et je me sentais coupable. Je dégageai aussitôt son image en me rappelant des sous-entendus et des mises en garde de Minoru.
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Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleu
Fiksi UmumLe filet autour du trafic de drogue à Nintaï se resserre. La tension monte et la loyauté entre les factions est mise à rude épreuve. Lucie se lance à corps perdu dans les abysses des relations torturées entre les étudiants et s'intéresse de près aux...