36. Le Temps des réformes

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[Narration : Lucie]

Sur le toit, de vives exclamations accompagnèrent mon arrivée. Tennoji me fit un pouce en l'air :

« Bien joué, Clé-à-molette ! Y paraît que t'as pulvérisé la vue et les poumons de l'autre témoin !

— T'es remontée dans notre estime, approuva Jotaro. C'est le seul gus à s'être fait embarquer par les flics. Si ses potes ne l'ont pas ramassé, ça veut tout dire de lui. T'as bien fait de le dézinguer !

Tennoji croisa les bras sur son torse :

— J'aurais pas imaginé que tu te trimballais avec une bombe au poivre !

— C'est Kensei qui me l'a donnée ».

Tous se tournèrent vers lui en faisant mine de l'applaudir. L'intéressé réagit comme s'il n'y était pour rien mais m'adressa un clin d'œil.

Puisqu'ils avaient rétamé leurs ennemis, la question était de savoir ce qu'ils prévoyaient à présent.

« Comment ça, vous changez les clubs ?

— Ça parait un peu normal après ce qu'il s'est passé, non ? argua Tennoji.

— C'est superflu.

— Ben toi, t'es gonflante !

Il remonta haut le col de sa veste grise. Ses grands sourcils arqués, il me torpilla du regard. Sur la terrasse du toit, aucun vent ne soufflait et l'air était saturé d'odeurs de gâteaux apéritifs et de tabac froid. Je fronçai le nez.

— Il va falloir organiser tout ça... Vous avez idée du casse-tête que ça va représente ? Et devinez à qui l'administration va coller le travail ?

— Ça fait partie de ton boulot j'te rappelle !

Tennoji n'avait pas tort. Sans cesser de me toiser, il passa les mains dans ses cheveux coupés à ras avant de se craquer la nuque. Je soupirai en englobant du regard le toit où la faction des troisièmes années s'était réunie.

— Tout le monde est d'accord pour cette solution de changements de clubs ? insistai-je.

J'aimais bien Tennoji, il était débrouillard et savait prendre les devants. Je l'appréciais, oui, sauf dans les situations comme celle-ci où il me zieutait avec un sourire absolument cynique.

— À l'unanimité, affirma-t-il. On en a déjà parlé avec Eisei. Tout s'est fait par son intermédiaire ».

Ils n'avaient pas perdu de temps ! Je questionnai néanmoins Tennoji, puisque les autres autour de nous le laissaient parler du nouvel ordre nintaïen sans émettre l'intention de l'interrompre.

« Avant qu'Eisei devienne le Grand Manitou, comment fonctionniez-vous ? Comment chacun décidait à quel club il participerait ?

Il rétorqua :

— Avant c'était avant. Avant, les premiers arrivés étaient les premiers servis. Les derniers partaient ou se mettaient dans un coin du club, sans broncher.

Tennoji était aussi ce genre d'individu insupportable à qui l'on pose la question « thé ou café ? » et qui vous répond « saké ». Un comportement en contradiction avec ce qu'un Japonais normalement constitué aurait dit, à savoir « l'un ou l'autre ira parfaitement ».

Je le délaissai pour m'adresser à Takeo, le leader. Les pieds croisés sur la chaise devant lui, il fumait paisiblement une Seven Star. La balafre sur sa joue cicatrisait mal, ce qui je le savais, réjouissait insidieusement Kensei.

— Je t'en prie, Takeo. Accorde-moi une faveur.

— Désolé. Tu t'es trompée de personne.

Je recherchai les yeux de Kensei posté dans un angle de la terrasse du toit pour lui lancer un appel au secours muet : « Défends-moi, défends-moi ! ». Mais il rit silencieusement, les yeux rivé sur le cendrier Kaki-pi qui débordait de cendres. Démunie, je me tournai de nouveau vers Takeo.

Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant