Nous nous retrouvâmes à la station de métro Nippombashi, les yeux perdus sur le carrelage blanc aux lignes jaunes indiquant les sorties. Autour de nous, les gens étaient tous habillés en costume foncé, les femmes comme les hommes. On aurait aisément pu croire qu'ils se rendaient à des enterrements collectifs.
Nous sortîmes sous le ciel couvert de lourds nuages gris. Kensei me fit traverser le passage piéton à toute allure. Je me libérai mais il saisit mon bras et sans dire un mot, me tira en cherchant un endroit où s'asseoir à l'abri des regards. Il avança à grandes enjambées décidées et je fus bien obligée de le suivre pour ne pas trébucher. Lorsqu'il aperçut enfin un banc caché derrière un talus dans une rue peu fréquentée, il accentua la pression de sa main.
Il m'assit à côté de lui sans me lâcher et tourna mon menton vers son visage pour que je le regarde en face. Ce fut un geste étrange, presque incommodant. Le front plissé, Kensei trembla d'une nervosité contenue. Ses lèvres aux commissures tombantes se serrèrent sous la tension reflétée dans ses yeux en amande.
Ce fut très bref.
Il s'excusa.
Les plus plates excuses que j'aie jamais entendues sortir de sa bouche. Je fus troublée par ce revirement de situation, de « rôles ».
D'habitude, j'étais seule à m'incliner. Ou quand cela arrivait de façon tout à fait indirecte, je ne percevais de sa part aucune émotion allant dans ce sens, ni sur son expression ni dans le ton de sa voix. Cette fois, c'était différent.
Normalement, Kensei souriait d'un air de vainqueur condescendant et je baissai la tête, reconnaissante de l'acceptation de son pardon qui n'aurait pas dû en être un.
Désormais, ce ne serait plus le cas.
Kensei m'assura qu'il avait pris conscience de ses abus, que plus jamais il ne m'épierait, que plus jamais il ne me harcèlerait en public, ni ne passerait ses colères sur moi.
« Depuis le début, je m'y prends mal. Je croyais que tu confondais indépendance avec égoïsme alors qu'en fait, je ne te lisais pas correctement, révéla-t-il. J'aurai dû te poser des questions au lieu de m'emballer. Je suis vraiment désolé.
— Est-ce qu'on pourrait être plus honnête l'un envers l'autre ?
— Oui. J'ai été nul. Il y a un tas de choses que tu n'es pas prête de me pardonner et je le comprends. Je vais m'améliorer.
— C'est une promesse?
— Les promesses, ça ne veut rien dire. Tu verras dans les faits. Je le ferai parce que je t'aime ».
Mon corps devint mou et spontanément, nos lèvres se rapprochèrent.
*
Je longeai les murs du couloir du rez-de-chaussée du lycée technique Nintaï. C'était la journée de Taiiku no Hi, le Jour de l'éducation physique. Tous les étudiants étaient conviés à participer à des activités sportives. Autrement dit, dans quelques minutes, allaient se dérouler des compétitions dites amicales.
Depuis la survenance de la « baston-du-siècle », l'atmosphère dans l'établissement était glaciale. Les alliés restaient cantonnés entre eux, personne ne se déplaçait individuellement. Néanmoins, cette situation se rapprochait d'une sorte de statu quo : les esprits n'étaient plus échauffés. L'orage avait craqué et à cette occasion, chacun avait eu l'opportunité de régler ses comptes. Malgré tout et notamment en dépit de la protection dont je bénéficiais grâce à ma relation avec Kensei, je demeurais prudente : plus que jamais, Nintaï renfermait un nid de voyous venimeux.
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Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleu
Ficțiune generalăLe filet autour du trafic de drogue à Nintaï se resserre. La tension monte et la loyauté entre les factions est mise à rude épreuve. Lucie se lance à corps perdu dans les abysses des relations torturées entre les étudiants et s'intéresse de près aux...