51. Amandine

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Amandine. En déplacement. Très grande, musclée, une poitrine opulente, des cheveux blonds vénitiens coupés courts et des yeux bleu-vert très clairs. Une apparence de Gauloise businesswoman qui aurait pu la faire passer pour la sœur de n'importe qui sauf moi.

Amandine était une femme forte, déterminée, pleine d'énergie. Je l'aimais tant, ma sœur qui se battait comme une ogresse dans le cruel domaine de la banque. Elle avait toujours impressionné les hommes, jusqu'à ce qu'elle trouve un homme aussi puissant qu'elle et l'épouse. Surtout, dans la vie, elle avait été mon seul ancrage.

Après que nous eûmes emprunté le lacis de ruelles qui menait au restaurant des parents de Kensei, notre bavardage se dilua. Devant les gérants, il convenait de faire bonne impression.

À peine entrées, dans un sursaut d'excitation, la mère de Kensei nous installa à une table isolée du vacarme ambiant et s'empressa d'aller préparer nos commandes. Autour des bruits de discussion et de couverts, Kensei prit place à mes côtés ; je servais de traductrice. Il semblait très honoré de rencontrer ma sœur venue en voyage d'affaires. Craignant de faire un faux-pas, il agissait presque timidement.

Kensei savait bien à quel point nos parents s'étaient désintéressés de nous. Je ne lui en avais parlé qu'une fois mais il avait compris que la relation avec ma sœur était pour moi un canot de sauvetage au milieu du Titanic familial. De fait, Kensei se tenait droit sur sa chaise, raide tel un piquet. Les mains sagement posées sur les cuisses, il regardait à peine ma sœur. Le plus souvent, il tournait la tête vers moi pour que j'accomplisse ma tâche d'interprète.

« Elle est le premier membre de ta famille que je rencontre, releva-t-il à mon intention, l'air désorienté. Il considéra un instant Amandine. Y aurait pas un gène de cheveux rouillés dans votre famille ?

— Notre mère est un peu rousse.

— Ah... Hé ! Tu peux dire à ta soeur que les boucles d'oreilles sont super belles ?

Ce fut comme si mon mensonge me donnait un coup de poignard. Gardant contenance, je me tournai vers Amandine.

— Il voudrait te faire savoir que les boucles d'oreilles que tu m'as offertes pour mon anniversaire sont jolies. Sauf qu'en fait, c'est le cadeau d'un ami et je ne pouvais pas le lui avouer parce qu'ils ne peuvent pas se blairer.

— Dis-donc, ça prend du temps à traduire en français, glissa Kensei, étonné.

Ignorant son commentaire, je fixai ma sœur :

— Tu peux jouer le jeu ?

— Absolument, si ça peut te sauver, répondit Amandine d'un ton enjoué pour parfaire ma couverture. Dis-lui que c'est gentil de sa part et que l'arrosoir de la voisine a pondu un œuf.

Je traduisis la première partie et pile où je m'arrêtai, Tomomi surgit comme un dragonneau sortit de sa caverne pour exiger que son grand-frère l'aide à préparer son bain. Dans un bruit de chaise, Kensei exécuta une petite courbette et baissa le menton.

« Excusez-moi, je vous laisse. Commandez tout ce qui vous fera plaisir, c'est offert par la maison.

— Mais...

— Ne dis rien, Lucie. Pas de protestation. Vous devez avoir un tas de choses à vous raconter... Tu rêves de voir ta sœur depuis longtemps.

— Merci mais comment tu sais que...

Kensei m'offrit un regard plein de mystère. Pour ne pas me faire perdre la face devant Amandine qui n'avait pourtant rien compris de notre échange, il finit par répondre :

— Tu parles beaucoup en dormant, même en japonais : tu adores ta sœur. Et t'as aussi mentionné que les veines de mes avant-bras me rendaient très sexy.

Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant