Je ne sus plus très bien comment mais je me retrouvai avec Reizo à une sortie de métro. Il faisait complètement nuit, les rues bétonnées étaient presque désertes. Les lumières et les couleurs étaient trop fortes. Mes jambes lourdes me ralentissaient, c'était comme si on avait attaché des poids à mes pieds. J'avais la nausée.
Reizo me soutenait par l'épaule et je me demandai comment il connaissait mon adresse, avant de réaliser qu'il ne s'agissait pas de mon quartier. Il se justifia en déclarant qu'il ne pouvait pas me laisser repartir seule dans mon état et que ni lui ni moi n'avions assez d'argent pour payer un taxi.
Son quartier baignait dans une ambiance de logements sociaux des années soixante-dix. Loin de la magie de la ville, je découvris l'enracinement de la précarité des plus démunis. Le chaos des enseignes lumineuses du centre-ville m'aveuglait et j'exigeai de rebrousser chemin. Reizo soupira et resserra sa poigne. Un goût d'acide fétide remonta dans ma gorge, ressemblant à du citron vert mijoté dans de l'insecticide. Je regrettais de ne pas avoir terminé la soirée avec mes amis ou de ne pas être rentrée directement à l'appartement.
Au premier étage d'une résidence grise à l'aspect insalubre, nous nous engageâmes dans un couloir miteux puant les ordures. Reizo sortit ses clés de sa poche. L'esprit embrouillé, je m'appuyai au chambranle de la porte. Un pan entier de peinture écaillée du mur partit aussitôt en poussière et tomba sur le carrelage de l'entrée où il manquait des dalles.
« Je ne peux pas avoir été ivre en buvant un verre ! grognai-je. Dis-moi où se trouve le métro.
— Il n'y en a plus cette heure-ci. Après le Great Cloud, t'as bu une Strong Zero, une Kirin, puis... Je ne sais plus très bien. Mais les mélanges ont dû mal passer.
Je me souvins avoir été sous l'emprise d'un prisme aux couleurs atténuées, aux formes indéfinies et bougeant sans cesse.
— Ton Great Cloud n'était pas que de la bière !
— C'est seulement maintenant que tu t'en rends compte ? se moqua-t-il d'un ton empli de sarcasme en ouvrant la porte d'entrée. Mais tu vas mieux, on dirait.
Je sentis une veine à mon front battre fortement.
— Enfoiré !
— Tu me vexes... Je connais simplement tes points faibles : curiosité, susceptibilité, alcool et beaucoup d'autres choses encore ».
Sans que j'aie eu le temps de me retourner, Reizo me poussa à l'intérieur. Il me subjuguait, dans sa façon d'être, de faire. Mes muscles eux, étaient paralysés. Je compris qu'il m'avait réellement droguée.
Mais que faisais-je là ? Je me dis que c'était fichu. Je passerai la nuit sur son canapé et me vengerai plus tard de son mauvais tour. Reizo baissa des yeux brillants sur moi, qui glissèrent vers ma bouche. Je reculai en haletant que j'allai vomir. Il m'indiqua aussitôt la salle d'eau pour que je puisse me brosser les dents avec les doigts. Il ferma la porte en laissant les clés sur la serrure.
J'étais folle de rage. Courbée sur le lavabo, je songeai un instant me faire régurgiter. De cette façon et en dépit de l'odeur d'eucalyptus du dentifrice, mon haleine dissuaderait certainement Reizo d'entreprendre quoique ce soit. Mais après cela, je me sentirai assurément plus mal encore.
Il fallait que je contacte quelqu'un : Kensei, Sven, Minoru, Aïko, peu importe qui. Avec horreur, je m'aperçus que mon portable n'avait plus de batterie.
Lorsque j'eus achevé ma brève toilette, je ressortis et considérai la vision floue, l'état misérable du logement. Hormis la minuscule salle d'eau, il n'y avait qu'une petite pièce principale en désordre, mal éclairée, sale, aux murs décrépis et à l'ameublement des plus sommaires. Elle était constituée d'un matelas, d'un placard, d'un mini-réfrigérateur et d'un réchaud. Pas de canapé. Majeur, Reizo vivait seul.
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Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleu
Ficción GeneralLe filet autour du trafic de drogue à Nintaï se resserre. La tension monte et la loyauté entre les factions est mise à rude épreuve. Lucie se lance à corps perdu dans les abysses des relations torturées entre les étudiants et s'intéresse de près aux...