[Narrateur : Lucie]
Le froid extérieur me frappa de plein fouet mais il ne fut pas difficile de retrouver le métro. Après la sonnerie de fermeture, les portes de la rame claquèrent à deux centimètres de mon oreille. La première annonce vocale résonna. « Une seule fois ce n'est pas si grave, tentai-je de me rassurer. Si tant est que Kensei ne l'apprend pas... ».
Tout à coup, je me détestais. J'aurai aimé que tout se retrouve saccagé autour de moi.
Il y eut une autre annonce, un autre bip et les portes se rouvrirent. Le bruit était insupportable, comme multiplié à l'infini dans ma tête. Je descendis de la rame à ma station, me fis bousculer par des voyageurs rentrés pour le week-end. Je me forçai à avancer pour ne pas créer d'embouteillage humain, avec la sensation d'être déshumanisée.
Reizo me coupait l'herbe sous le pied. Je ne pouvais pas me débattre. J'étais menottée mais me confier à Kensei ? Il ne pourrait pas le supporter. Il me jetterait dans la seconde et je ne pouvais pas me passer de lui.
Une femme écrasa mon talon et je gravis plus rapidement les marches des escaliers. A la sortie du métro, je pris le bus. A l'intérieur, il y avait surtout des collégiens qui discutaient vivement en me pointant discrètement du doigt. Cette agitation me donna encore davantage mal au crâne.
Le doute m'assaillit. Je repensai au baiser de Tsukimi avec Kensei. Il était ressorti de cette soirée un souvenir immarcescible, si solide, si présent à mon esprit que je n'avais pas besoin de me concentrer pour y penser.
Contrairement à ce qu'imaginait Reizo, le fait que l'on ait qu'une vie ne justifiait ou ne légitimait rien à mon sens et surtout pas la tromperie.
Enfin arrivée dans mon appartement, je pris une longue douche brûlante et frottai ma peau si fort que j'eus l'impression qu'elle partait en charpies à l'instar du crépis du mur de l'immeuble de Reizo. Au bout d'un moment, le manque d'air commença à semer la confusion dans mon esprit et à me provoquer des palpitations. J'étouffai et me résolus à sortir de la salle de bain.
Les jambes titubant jusqu'à la fenêtre du salon, je l'ouvris en grand d'une main tremblante et plongeai la tête dehors. Les maisons, les immeubles et les résidences étaient recouverts d'un mince manteau de givre blanc sur lequel se réfléchissait la lumière coruscante du soleil.
Les bruits de la circulation rebondirent sur mes tympans, le vent sur ma peau vivifia et refroidit mes joues. Il atténua la douleur dans ma tête. En partie, pas complètement.
Mes joues ressortirent incarnates en raison du vent frais. Mais mon estomac demeura crispé. La même question revenait : pourquoi ne pas dénoncer Reizo, au juste ? Parce que j'avais réellement peur que Kensei me quitte pour de bon ? Reizo avait commis un crime. J'avais mal dans ma chair. Si mal. Il m'avait salie. Je devais le dénoncer.
Non, je ne pouvais pas. Je ne voulais pas que Kensei l'apprenne. Ce serait trop difficile à assumer.
Meurtrie, la poitrine étouffée, je tombai à plat-ventre sur mon lit.
*
[Narrateur : Kensei]
Je les avais enfin ! Levé à cinq heures du matin, dans un froid à enrhumer un ours polaire, j'avais fait la queue toute la matinée devant le cinéma. A 9h47, ma patience avait été récompensée : le guichetier avait placé les deux tickets dans l'encoche sous la vitre de séparation. Lucie allait être ravie. Ce n'était pas tous les jours que le cinéma consacrait une salle en avant-première pour un film en version française avec des sous-titres ! Surtout qu'elle se plaignait souvent du retard du Japon sur ce tout ce qu'il devait importer, du matériel au culturel. Je bombai le torse, l'imaginant les yeux embués de joie. Ensuite, nous irions chez elle. Je retirerai ses vêtements un à un, embrasserai son visage brûlant, m'imprégnerai du parfum de son corps, de sa bouche humide de son goût sucré.
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Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleu
Ficción GeneralLe filet autour du trafic de drogue à Nintaï se resserre. La tension monte et la loyauté entre les factions est mise à rude épreuve. Lucie se lance à corps perdu dans les abysses des relations torturées entre les étudiants et s'intéresse de près aux...