Chapitre [17]

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La journée s'était déroulée sans accroc. Junot avait aisément pu demander un peu d'argent à sa famille, en expliquant leurs besoins, et ils lui en avaient gentiment donné en lui disant d'en faire bon escient.

Ils avaient rapidement fait le tour du village, juste pour explorer un peu les environs. Mais ils n'allaient pas se mentir, seul Junot se plaisait à rester ici. Ils voulaient tous rentrer à Paris, là où il y avait tout ce dont ils avaient besoin, là où ils n'étaient pas perdus au milieu de la campagne, là où ils ne s'inquiétaient pas de prendre du retard sur leur travail, là où ils avaient leur liberté. C'est pourquoi, en début d'après-midi, ils décidèrent de passer chez Marmont, et de repartir à Paris en soirée ; ils feront le voyage de nuit, ainsi ils arriveront à la capitale demain au petit matin.

- Mais... nous ne sommes arrivés qu'hier! S'exclama Junot, déçu.

- Oui, mais j'ai du travail à Paris, et Muiron aussi, lui rappela son général. Nous ne pouvons pas nous éterniser ici.

- Pfff... du travail dans des bureaux, ils ne s'apercevront même pas de votre absence!

- Junot, ce travail est très important pour moi. Et ne discute pas! Allez, monte dans la voiture.

Junot obéit et s'installa, les bras croisés et les dents serrées.

- Pour une fois que nous étions chez mes parents! Ah, voilà, vous êtes bien trop obnubilé par vos désirs de montée au pouvoir pour vous occuper de moi!

- Oh, vous n'allez pas commencer, soupira Marmont en roulant des yeux.

- Crois-tu que ce sont tes vignes qui vont donner la fortune à un homme?!

- Mes vignes n'apportent peut-être pas autant d'argent que les escroqueries des bourgeois mais au moins elles rendent heureux!

- Elles rendent heureux ceux qui se saoulent avec le vin qu'elles produisent, oui!!

- Ce n'est pas avec une telle prétention que vous arriverez à être connu de la Convention!!

- BON, VOUS DEUX, ÇA SUFFIT!! Cria Murion. J'AI DÉJÀ FAIT L'EFFORT DE VOUS SUIVRE, J'AURAIS PU RESTER À PARIS AU CALME DANS MON BUREAU MAIS J'AI EU LA GENTILLESSE DE VOUS ACCOMPAGNER EN BOURGOGNE, OÙ J'AI MAL DORMI, JE NE CONNAIS NI VOS FAMILLES NI LA RÉGION, IL PLEUT À VERSE ET J'AI EU TORT, ALORS N'EMPIREZ PAS LES CHOSES EN VOUS DISPUTANT POUR DES BROUTILLES COMME DES ENFANTS!!

Un silence suivit, ou aucun n'osait parler. Jusqu'à ce que Junot marmonne :

- De toutes façons, vous êtes bien trop idiot pour comprendre autre chose que la violence de la guerre.

- ...Qu'as-tu dit!?!

Et une claque pour notre beau blondinet.

- Je ne cautionne en aucun cas la mort d'innocents, c'est bien compris, Junot?! La guerre est une chose mais la violence en est une autre! Je suis peut-être général, j'ai peut-être tué des pères et des fils et j'en tuerai sans doute bien d'autres à l'avenir, mais j'ai un cœur et une morale!! Et tu es mal placé pour me faire une telle remarque, toi qui serait capable d'embrocher quatre hommes à la fois!!

La colère de Junot redescendit en une seconde.

- ...Est-ce vrai? Vous me pensez réellement capable d'une telle prouesse??

- Ma foi, avec toi je ne suis plus étonné de rien.

Marmont soupira face à ce changement total d'état d'âmes. Lui non plus, il n'était plus étonné de rien.

Une heure plus tard, alors que la tension était redescendue, ils étaient arrivés devant chez Marmont.

- Je préférerais que vous restiez ici, conseilla ce dernier.

- N'allons-nous pas saluer tes parents?

- Ce ne sera pas la peine. Ma famille n'est pas aussi accueillante que celle de Junot.

- Si tu le dis... nous allons t'attendre ici alors.

Ils attendirent donc, dans le silence, sous le porche à fixer les lourdes gouttes de pluies qui tombaient à verse, et après seulement dix minutes, leur ami était revenu.

- Alors? Cela s'est-il bien passé?

- Ils m'en ont donné, mais c'était à contre-cœur. Mes parents sont austères, et plutôt avares... c'est la dernière fois qu'il me donneront une bourse. Enfin, nous pourrons tenir quelques mois ainsi, donc c'est mieux que rien.

- Tu n'as que vingt ans! S'indigna Junot. Comme Muiron... Comment peuvent-ils espérer que des hommes comme nous en pleine jeunesse et sans le sou gagnent autant d'argent qu'un vieux ministre?!

- Pour eux, seul le travail compte, et la persévérance. Bon, tu comprends maintenant pourquoi je souhaite rentrer à Paris au plus vite? J'aimerais bien retrouver ma liberté. Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, bien que j'aime la Bourgogne, cet endroit ne me rappelle pas de très bons souvenirs.

- Même les étés que tu passais chez moi??

- Non, cela ça va encore~.

- Allez. Rentrons, j'ai hâte de retourner à Paris, lança sèchement Muiron qui se demandait sérieusement ce qu'il foutait là.

Et sous la pluie battante, leur voiture qu'ils partageaient avec des inconnus, prit la route de la capitale.

~ ☘ ~

- Nous avons maintenant assez d'économies pour louer deux chambres de cet hôtel, déclara Marmont en rangeant les précieuses pièces dans leur bourse.

- Lequel? Questionna Junot en mâchant des amandes par poignées.

- L'hôtel de la Liberté, rue des Fossés-Montmartre. Nous passons devant lorsque nous allons au théâtre. Au moins maintenant, nous serons plus près. Plus près du centre-ville et des meilleurs quartiers, aussi.

- Aaah, oui... c'est un fort bel hôtel! Nous y serons bien.

- En effet. Je suppose que tu voudras loger avec Bonaparte? Je partagerai ma chambre avec Muiron, alors.

- Oh, c'est... c'est très aimable à toi.

- C'est la moindre des choses. Allez, prenons nos bagages. Pourquoi attendre? Nous allons y emménager ce soir.

Folie rime avec irréfléchiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant