Incipit

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Pour atteindre le paradis de James, il fallait marcher longtemps dans le bois à partir de la route cent treize. Il se débrouillait pour ne jamais passer par le même endroit, histoire de ne pas tracer de sentier. Sa tranquillité valait de l'or. Même les fonctionnaires qui s'occupaient de l'immense réserve faunique ignoraient qu'il y habitait. Ici, il était le roi en son royaume alors qu'en ville, il n'était qu'un loser.

Là-bas, James avait tout tenté d'avoir une vie normale et de suivre le chemin que ses parents avaient tracé pour lui. Les études, l'appartement, tout ce qui fait déboucher sur le bon job, la création d'une famille et d'un patrimoine. Il avait joué le jeu plus qu'à fond, bosser tard le soir pour avoir de bons résultats, s'amuser comme les jeunes de son âge, se rendre dans les soirées où on l'invitait, faire du sport en groupe... mais rien n'y avait fait. Dans toutes les situation, il ressentait toujours le même sentiment de ... dégalage. Peu à peu, cette vie minée plus que vécue pleinement l'avait lassé, puis fatigué.

Un matin d'été, il avait senti qu'il pourrait bien ne plus jamais quitter son lit. A la place, il s'était levé, il avait rempli son sac à dos et il était parti. Sans aucun plan de route.

Il avait marché jusqu'à la bretelle de l'autoroute. Il avait levé le pouce. Après quelques minutes, un routier s'était arrêté et l'avait fait monter dans son camion. Sur des airs de musique country, il l'avait transporté plus au nord et l'avait déposé au croisement d'une nationnale et d'une départementale. Les pieds collés au bitume, il avait levé son pouce une seconde fois et une vieille camionette bleue, conduite par un bonhomme encore plus vieux qu'elle, l'avait emporté sur la départementale.Pas de musique cette fois, mais une odeur de tabac froid. Après une vingtaine de kilomètre, le types s'était arrêté pour laisser traverser un ours. C'était un ours noir, un animal magnifique, au poil dru et brillant, en pleine forme. Loin d'être impressioné par le moteur qui ronronnait et les coups de Klaxon, l'animal avait pris son temps pour traverser.

- Allez ! Grouille ! J'ai pas que ça à faire ! avait crié l'homme par la fenêtre ouverte, sans que ça ait un quelconque effet sur l'animal.

Au passage, la bestiole avait même pris le temps de jeter un regard noir vers le véhicule et ses petits yeux inexpressifs avaient croisé ceux de James. Subjugué, le jeune homme était resté bloqué sur la touffe de poils blancs qui s'épanouissait en une sorte d'étoile au centre du front de l'aniaml. Cette vision  lui avait valu un long frisson le long de la colonne vertébrale. Il avait eu l'obscur sentiment que la Vie elle-même le voyait brusquement et s'adressait enfin à lui. C'était la Vie brute, la vie sauvage, celle dont on ne peut pas ignorer l'appel. Rien à voir avec l'enchainement des fêtes et des alcools qu'on lui avait proposés jusque-là pour se sentir vivant.

-Je descends ! avait-il décidé tout à coup.

-Ici ? Mais on est loin de tout ici...

-Justement, c'est parfait, avait ajouté James en attrapant son sac à dos.

-Attends... cet ours doit peser dans les trois cents kilos. Si tu descends sur son territoire, il risque de t'attaquer !

-J'ai pas peur.

-Tu n'as pas peur ?

James n'avait pas laissé le temps au type d'ajouter autre chose. Il l'avait chaudement remercié et était sorti du véhicule. A la suite de l'ours, il s'était engouffré dans le bois sans une once d'hésitation. En voyant la forêt l'avaler, l'homme était rest un instant médusé dans sa camionnette puis il était parti.

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