J'étais un de ces enfants qui aimait courir après les sauterelles, compter les points sur le dos d'une coccinelle, qui tentais d'attraper les lézards en démontant les pierres des murets sur la route de mes escapades solitaires. Je m'allongeais dans l'herbe, fermais les yeux et aimais imaginer ce microcosme vivant, ces bestioles autour de moi comme un échappatoire à ce monde d'adultes en lequel je ne faisais déjà plus confiance. J'aimais sentir le soleil, suivre la course des nuages et imaginer les formes les plus irréelles. Parfois apparaissaient un visage d'ogre, un semblant de bateau de pirates mais le plus souvent je remplissais ma ménagerie imaginaire d'un éléphant, d'une licorne ou d'un crocodile. J'avais tous les droits dans mon univers, j'étais comme tous les autres petits garçons de mon âge... Allongé dans l'herbe enfin je n'avais plus peur!! À vrai dire je crois que dans ma fantasmagorie enfantine j'étais à construire ma propre survie, à m'engouffrer dans des petites parcelles d'innocence, dans ces parenthèses insouciantes. Cette coccinelle, ce lézard comme ce crocodile m'ont permis de me nourrir affectivement comme autant de fils invisibles auxquels m'accrocher pour ne pas sombrer je le sais maintenant dans la terreur. Ce silence, ce mutisme dans lequel je me suis plongé pour ne pas dénoncer et paradoxalement par crainte de faire souffrir et de nuire à mon bourreau était là quelque part au milieu des nuages qui prenaient formes au-dessus de moi...
Très vite j'ai appris à devancer la violence pour tenter de ne plus en être la victime d'apparence. J'ai appris à cacher, simuler et mentir si jeune pour ne pas trahir mes cicatrices. Sourire pour ne pas dévoiler mes balafres psychologiques... J'étais devenu ce petit garçon, cette pierre à première vue taillée et pourtant à l'intérieur si brut...alisée!! C'était de la résistance sans fard, de la survie que d'avoir tissé des liens avec l'irréel, mes rêveries, cette évasion salvatrice qui m'a laissé les dernières brides d'innocence que cette jeunesse trahie me laissait. Cette fugue intérieure, ce reniement existentiel pour résister et survivre...
Mais le temps passait vite et il me fallait rentrer. J'ai parcouru le chemin du retour en me demandant quelle soirée j'allais passer et la réponse à mes craintes ne s'est pas fait attendre. Il faisait déjà nuit, l'automne était déjà bien avancé et ma mère n'était pas encore rentrée du travail. Je montais les marches jusqu'au cinquième étage avec cette oppressante sensation dans la gorge et le ventre. J'ai ouvert la porte et il m'attendait avec dans la main ce câble. J'ai commencé à trembler de tout mon corps, j'aurais voulu me sauver et puis le premier coup est tombé sur mon bras seul rempart pour protéger mon visage de sa fureur. J'ai hurlé, la douleur s'est enchaînée à moi et ne m'a plus lâché pendant d'interminables minutes. Les marques violacées, l'odeur de la chair meurtrie et mes hurlements, je n'étais plus qu'un pantin réceptacle de sa violence. J'avais mal, je suppliais, je courrais autour de cette table pour essayer de lui échapper mais ses ongles m'ont attrapé, se sont enfoncés dans la peau de mon cou et.... J'avais tellement mal quand il a enfin arrêté de me détruire. Mes bras n'étaient qu'entrelacement de marbrures douloureuses, du sang dans les cheveux, ma tête douloureuse, il m'envoya dans la chambre. J'étais assis sur ce bord du lit tout endolori, les sanglots envahissaient mon âme d'enfant broyé. J'avais si peur qu'il revienne, je ne quittais pas des yeux le dessous de la porte à l'affût de son ombre. Mais ce jour là il n'est pas revenu. Toute cette douleur, cette souffrance à cause d'un haricot. Un haricot sec que j'avais pris dans le buffet de la cuisine et mis à germer dans du coton au-dessus de mon armoire dans la chambre. En l'arrosant là-haut, de l'eau avait coulé. Le crâne ouvert, les membres couverts de bleus, toute cette folie pour un simple haricot... Ce soir là la douleur s'est recouverte de silence et puis j'ai pu m'endormir comme d'habitude au bord du lit.
Le réveil sonne, une de ces sonneries stridente qui m'arrache à mes rêves. Pas le temps, pas le droit de traîner au fond du lit. Je me lève, sur les marques de mon corps déjà une pellicule de peau se reformait et allait peu à peu effacer les brûlures de la veille encore bien présentes. Mes larmes avaient séché sur mes joues, je m'habillais et me glissais sans bruit dans la salle de bain pour débarbouiller mon visage. Avant d'aller en cours il me fallait promener le chien qui n'était que contrainte pour moi. Ce chien qui m'obligeait à me lever chaque matin à cinq heures pour le sortir une heure et demie avant d'aller au collège. Ce matin là il pleuvait, il faisait froid et encore nuit. Comme d'habitude, je tournais dans le quartier un peu apeuré parfois quand j'entendais un bruit. Personne dehors, seul moi et Starsky le cocker qui même lui avait l'air de ne pas comprendre pourquoi devoir être dehors si longtemps dans le noir. Nous étions trempés et je savais déjà combien de temps j'allais mettre pour le sécher en rentrant. Toujours le même rituel, essuyer ses pattes puis cette serviette pour frotter longuement ce chien pour qu'il soit impeccablement sec.
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Le Charme de ma Solitude
Non-FictionUn enfant, ses souffrances, ses peurs et ses angoisses... Pour seule échappatoire sa rêverie...