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Gaspard était en classe de CM1 lorsque je rencontrais Marie, sa sœur, en sixième. Nous étions en file indienne devant notre professeur principal – une vieille bique avec un rouge à lèvre rouge orangé et des cheveux grisonnant relevés par un nœud en velours – c'est là qu'elle me sourit de façon la plus ridicule qui soit. Au premier regard, sa niaiserie fatidique avec ses longues dents, son col Claudine et son air nunuche m'avait rabroué, mais arrivant dans ce grand collège sans connaitre personne je m'assis à côté d'elle lorsque nôtre professeur, commença son long cours de conjugaison.

C'est elle qui se moqua la première de notre institutrice entre ses incisives de lapin. Nous avons rigolé et nous avons partagé notre goûter à la récréation de quinze heures. Nous sommes vite devenues inséparables et si notre entrée au lycée puis à l'université nous éloigna un peu nous sommes toujours restées de bonnes amies.

Nous avons eu l'idée avec d'autres copines - qui ne méritent à ce jour pas plus de détails si ce n'est qu'une était une véritable boule de nerfs hyperactive avec un visage de rat et l'air mauvais (que je retrouvais d'ailleurs à la faculté de droit) et l'autre première de la classe de la sixième jusqu'au brevet, pédante et glaciale avec un teint si blanc qu'on avait l'impression qu'elle se diluerait avec le temps – de créer un journal mensuel avec le documentaliste du CDI. Par ailleurs, je garde encore un doux souvenir de ce grand et mince monsieur, toujours propre sur lui et très enthousiaste lorsque nous lui soumettions une nouvelle idée. Monsieur Pontiers nous épaulait dans le souhait sincère que nous réussissions. Ce projet nous valut de passer énormément de temps les unes chez les autres et nous souda pendant deux ans jusqu'à la dissolution du journal. Nous cherchions des articles à écrire, divers et variés, sur la vie de notre collège, sur l'actualité nationale ou des nouvelles que la première de la classeavait décidé d'écrire pour chaque parution. J'étais pleine de bile puisque Marie et moi étions les véritables instigatrices de ce journal et sa direction devait être partagé entre nous quatre. En plus de cela notre professeur principal cherchait à mettre son nez partout en proposant des sujets ou en donnant son avis. Elle nous courrait presque après pour corriger ce que nous écrivions à la grande joie de la première de la classeet de la face de rat. Alors Marie et moi restions le plus souvent ensemble, assises côte à côte en classe, partageant nos BN et rêvant de nos futures carrières de Loïs Lane, chez elle.

Je me souviens très clairement de la première fois où j'étais invitée chez elle. Sa maman avait appelé la mienne se présentant comme Sandrine Lachman, la maman de la petite Marie de sixième rouge avec qui votre fille passe tout son temps. Ma maman qui cherchait toujours un moyen de m'occuper puisque à cette époque elle travaillait d'arrache-pied dans le restaurant familial, accepta tout de suite. Le samedi suivant, je passais l'après-midi chez les Lachman. Ils vivaient dans une immense maison pleine de tableaux et de disques de musique à Rochecorbon qui contrastait avec mon appartement tout étriqué de l'hyper-centre de Tours. Monsieur et Madame Lachman était tout deux notaires, bon chic bon genre, de confession juive, peu pratiquants et en admiration totale devant leurs deux enfants brillants qu'étaient Marie et Gaspard. Si Marie avait de longues dents de lapin, Gaspard avait de petites quenottes d'enfant - j'avoue avoir toujours fait une fixette sur les dents de Marie. Ils étaient maigrelets, avec d'épais cheveux châtains et d'immenses yeux verts qui leur mangeaient le visage.

Ce jour-là après avoir rédigé un article sur la construction des nouvelles toilettes des filles dans notre cour, Gaspard dans nos pattes, nous avons fait des financiers aux framboises. Gaspard nous collait pour savoir ce que nous faisions et quoique ce soit il voulait y contribuer d'une façon ou d'une autre. Cela le rendait agaçant. Surtout lorsque nous faisions la liste des plus beaux garçons du collège. Nous n'attendions qu'une chose : qu'il parte à quatorze heures pour son cours de tennis. Mais puisque son absence laissait un vide après son omniprésence, et qu'aujourd'hui je peux le dire avec honnêteté, nous attendions son retour avec impatience pour qu'il goûte et juge nos nouvelles pâtisseries avec ce petit air coquin de celui qui devait prendre une deuxième part pour se décider. Coquin, ça oui, il l'était. C'est de cette façon que se passaient tous les samedis pendant quatre ans. Parfois je venais aussi dormir le mercredi soir. Mais comme Marie et son petit frère avaient cours de musique, ce n'était qu'occasionnel. Monsieur et Madame Lachman m'accueillaient toujours avec chaleur et grande sympathie, ils avaient même pris l'initiative de m'inviter une semaine à Douarnenez, en Bretagne, pendant les grandes vacances. Monsieur Lachman, Samuel, était un homme très cultivé qui transmettait sa passion de la musique et du théâtre à ses enfants. Il était aussi très drôle. Sandrine, la maman, était plus réservée et plus sèche mais certainement pas moins gentille envers moi. Elle me laissait toujours dans mon sac un tupperware avec les restes de nos desserts cuisinés.

Les vacances en Bretagne étaient chaque fois plus amusantes. Années après années, Marie et moi nous prenions pour des grandes et marchions sur la plage jusqu'à neuf heures, nous en avions la permissions, Gaspard fou de rage restait dans la maison et débarrassait la table du diner. Et quand nous faisions du ski nautique dans la baie, lui encore trop petit restait dans le bateau. C'est enfin pendant les étés de nos quatrième et troisième qu'il put en faire. Il avait un corps tout malingre, on voyait ses côtes et ses jambes de coq le tenaient tout juste sur les skis.

Séparés dans deux cours différentes (sixième-cinquième et quatrième-troisième) nous ne nous croisions jamais dans l'enceinte du collège à notre plus grand bonheur. La honte de parler aux petits ! Apparemment, il était le roi de la récréation, le redoutable adversaire au ping-pong et le bourreau des cœurs des sixièmes rouges et sa réputation s'étalaient jusqu'aux bleue, verte et orange.

Puis vint l'entrée au lycée. Je ne pouvais plus venir les samedis, j'avais changé d'établissement, Marie avait pris L et moi ES, je ne voyais plus Gaspard. Je m'en moquais un peu, je voyais toujours Marie le lundi pour déjeuner au Bagel and Coffee ou à Nooï. Nostalgiques de nos listes nous refaisions les classements des garçons de nos classes mais nous ne savions pas mettre de visage sur les noms. Alors on arrêta. On se donnait des nouvelles de nos amis communs, certains restés d'autres partis dans le même lycée que moi. Gaspard l'énervait de plus en plus, il faisait toujours le malin et demandait sans cesse de nouvelles baskets ou de nouveaux sweats. Je croisais de temps en temps Monsieur Lachman qui rentrait de son étude notariale. Il me demandait tout le temps quand est-ce que j'allais passé chez eux. Je n'avais plus le temps et j'avais d'autres amis. Les étés, je les passais à travailler dans le restaurant familial pour me payer mon permis. Marie qui avait beaucoup plus d'argent, qui avait eu le droit à la conduite accompagnée, ne comprit pas que je ne lui accorde pas cette semaine à Douarnenez. Ça me fit de la peine, on n'en parla plus. On passa toutes les deux le baccalauréat avec mention, elle Très bien et moi Bien. Elle entra en Hypokhâgne et moi en faculté de droit.

L'université était petite mais cet esprit de fourmilière avec tous ces étudiants me galvanisait. Je rencontrai beaucoup de monde m'étant inscrite au club d'éloquence, à un mouvement politique à la fac et même dans un parti ! J'étais impressionnée de voir toujours plus de personnes avec les mêmes idées que moi, les mêmes ambitions. Je m'épanouissais dans un tourbillon de Code civil, de collage pour la campagne municipale et de premiers émois. Au lycée je n'avais eu qu'un copain, cela n'avait duré que trois mois, il n'osait même pas m'embrasser et je finissais par le fuir. J'en avais parlé à Marie au téléphone, elle avait ri. Elle avait fait sa première fois avec son petit ami de terminale, Jacques, et ils étaient encore ensemble ! Durant cette année nous ne nous sommes pas vues une seule fois, trop prises. Je n'eue pas de réel amour, juste quelques flirts plus divertissants que transcendants. Je me complaisais dans ma vie de libre célibataire fêtarde, ou j'essayais de m'en convaincre puisqu'en réalité j'avais peur de ne plus rien contrôler et de m'abandonner. Je me cachais derrière l'attente de l'homme parfait, du fantasme.

En octobre de ma L2 Droit je reçu un carton d'invitation des Lachman pour fêter Noël le 23 décembre. Ils organisaient une grosse soirée avec leurs amis et ceux de leurs enfants plus deux ou trois collègues. J'envoyais un message à Marie, elle voulait absolument que je vienne, cela faisait une éternité.

Cet hiver-là, il faisait si froid qu'une vingtaine de centimètres de neige couvrait les routes, je n'avais plus de bus pour Rochecorbon et avais laissé ma voiture à Maman. Marie m'envoya Gaspard. C'était là le premier choc. Gaspard à le permis ? J'avais encore en tête l'image du petit garçon mais me résous à accepter que j'avais pris un coup de vieux.

Je l'attendais en bas de mon immeuble, dans le froid en collant et Ugg, mes talons à la main, emmitouflée dans une doudoune. A tous les coups Sandrine aurait préparé une soirée très élégante entre petits fours, pain d'épices et bulles de champagne. Alors je m'étais habillée en conséquence d'une robe noire manche longue, très cintrée qui tournait, d'une paire d'escarpin pas encore aux pieds et d'un long collier façon Chanel en toc. La voiture se gara devant moi et sorti Gaspard, galant, pour m'ouvrir la portière.

« Bah alors Jul, tu attends le déluge ? »

J'étais complétement prostrée. L'enfant était devenu homme. Ses épaulent s'étaient carrées, il avait pris de la puissance et perdu sa candeur. Il était en bas de smoking, chemise et son nœud papillon n'était pas encore fait, il était parti en catastrophe et de toutes manières il n'arrivait jamais à le mettre. Il avait mis le chauffage dans la voiture et moi je rougissais comme une adolescente. 

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⏰ Last updated: Oct 08, 2019 ⏰

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GaspardWhere stories live. Discover now