𝑵𝒐𝒄𝒉𝒖

Chapitre 1

- Vous m'avez l'air plus détendue ces derniers temps, votre traitement fait-il effet ?

     « Paisible. Ce mot décrit au mieux l'univers dans lequel je me trouve actuellement.
Comme une enfant à la découverte d'un nouveau monde presque familier, j'observe les alentours, la bouche ouverte, éblouie. Quelques rayons se faufilent entre les feuillages des arbres géants et apportent une chaleur agréable à l'atmosphère. Plus loin, il me semble apercevoir une cascade d'eau se jeter dans un lac.

    Je m'empresse de m'y rendre et me fige en remarquant la clarté de l'eau. Le fond de l'eau apparaît sans grande difficulté, des poissons nagent paisiblement ; en voir des vivants d'aussi près accentue d'autant plus mon émerveillement pour cet endroit.

    Comment un lieu aussi beau peut-il encore exister ? Comment ai-je pu vivre aussi longtemps aussi loin de cet endroit ? J'inspire sans crainte une bouffée d'air frais qui me remplit de bien-être.

    Quelque chose ici ne ressemble à nulle part ailleurs, mais je ne m'en plaindrai pas, ce calme fou parvient à taire toutes mes pensées agitées. Je ne comprends pas la manière dont j'ai bien pu atterrir ici mais je peux affirmer que mon unique souhait consiste à rester ici à jamais. Je m'y sens étrangement à l'aise, reposée, vivante.

    Le bruit d'une branche cassée attire mon attention. D'abord sur mes gardes, je me tourne en progressivement puis souris ensuite à la vue de la cause : une biche, si je ne me trompe pas.
Ma curiosité me pousse à sa rencontre quand une sonnerie retentit, la faisant fuir au loin. Déstabilisée, je tente de la suivre sans prêter attention à tout ce bruit, bouche mes oreilles, mais rien n'y fait. Une fois de plus, je me bats contre la douleur bloquant ma poitrine et perds l'équilibre. Quelques pas hasardeux entraînent ma chute en arrière. Je ferme les yeux, prête à tomber à l'eau. Toutefois, je ne sens rien.

    Le volume de la sonnerie augmente. Ces frissons me reprennent. Avec cette crainte habituelle, j'ouvre les yeux puis bat des cils à maintes et maintes reprises. Rien n'y fait. Je me retrouve bel et bien dans ce lieu maudit : ma chambre. Les larmes me viennent, je me pince alors les lèvres dans l'espoir de dissimuler mes sanglots. Malgré tout, mes lèvres s'étirent en un sourire. »

- Je ne sais par quelle magie cela se produit, mais je m'y rends chaque nuit. Les lieux changent parfois mais jamais l'impression qu'ils me laissent. Ces forêts toujours aussi vertes et ensoleillées, me permettent de réfléchir et me reposer comme jamais je n'avais pu auparavant. Je vis mieux grâce à ces instants de repos, loin de ces cauchemars, mais aussi plus difficilement à cause de la crainte de ne plus jamais y retourner.

    La lycéenne marqua une pause, cessa de triturer ses doigts, puis reprit :

- J'ai très longtemps hésité avant de vous en parler mais depuis peu, un élément m'intrigue... Je-

- Je suis sincèrement désolé pour vous...

    Interrompue, la patiente bat rapidement des cils et tenta de se concentrer sur la phrase prononcée par son médecin. Le Docteur Minimi lui lança un regard rempli de peine en ajoutant :

- Je vais vous prescrire un nouveau traitement. Il l'inscrit sur son bloc puis le tend à son interlocutrice. Je vous conseille de passer à la pharmacie dès ce soir, vivre une nouvelle nuit dans ces conditions serait sûrement insoutenable. Vous couper de ce monde au plus vite est le mieux à faire pour vous.

- Mais Docteur, je... Je ne veux pas arrêter de-

- Vos soucis prennent déjà une place suffisamment importante dans votre vie, ne polluez pas votre esprit de ces images toxiques. La vraie vie se passe ici, et nulle part ailleurs.

    La lycéenne baissa le regard au sol tout en recommençant à triturer ses doigts.

- Allez-vous suivre mes conseils Madame Moon ? Demanda le docteur.

    La nommée hocha nonchalamment la tête de bas en haut en guise de réponse.

- Bien... souffla-t-il de soulagement. Merci à vous. S'il vous arrivait quoi que ce soit, je pense que je m'en voudrais terriblement. Il vous faut prendre soin de vous et vous méfier davantage. L'entendez-vous ?

- Oui... J'ai toujours droit à ce même discours, et ce même conseil. Je pense l'avoir saisi avec le temps.

    Un sourire timide apparu sur le visage du docteur qui se leva en direction de la porte pour raccompagner Madame Moon, l'ouvrit puis la laissa passer.

- Au revoir Moon, et bonne nuit.

- À vous aussi Doc'.

    La jeune femme enfila un masque couvrant son nez ainsi que sa bouche avant de sortir. Les mains dans les poches, elle détailla le ciel d'un noir insipide en tentant d'y trouver un intérêt pour ensuite passer aux rues éclairées par ces géants de fer, et les immeubles l'entourant, ces géants gratte-ciel remplis d'âmes mais vides de vie.
    Epuisée, l'adolescente se contenta de se remémorer les images de sa dernière nuit et y trouva un certain réconfort en dépit des conseils de son docteur.

    Son passage à la pharmacie effectué, elle s'empressait de retourner à son domicile où elle se préparait à se coucher. Enfin sous sa couette, la lycéenne défait sa chevelure feue. Elle soupirait. Vidait ses poumons d'air. Puis les remplissait par contrainte.
    Elle se tourna vers sa table de nuit où ses médicaments l'attendaient. Mais à cet instant, une seule envie, un seul souhait lui traversa l'esprit.

- Laissez-moi y retourner. Je vous en prie. Juste une fois. Et laissez-moi y rester... Peu importe le prix.

    Elle avala le nécessaire, les mains tremblantes. Puis s'enfonça dans son matelas. Une larme s'échappa du coin de son œil, venant s'échouer sur son oreiller.

    Cette larme témoignait de son désespoir, causé par la perte du seul petit coin de paradis que cette âme connaissait dans ce monde infernal. Moon venait d'y renoncer, pour le bien de la société, pour son bien. Le cœur de cette adolescente renfermait en effet un mal que son monde craignait plus que tout : une pureté à la fois stupéfiante et dérangeante.