Clénia Beaulne regardait d'un demi-œil les bandes-annonces qui défilaient sur l'écran géant étendu sur le mur à quelques rangées de fauteuils devant elle. Elle était bien trop occupée à envoyer des messages à sa meilleure amie et à lui expliquer qu'un garçon, beaucoup trop beau, s'était assis, sans l'air de rien, à deux sièges sur sa gauche.
À l'instant où il avait décidé de s'asseoir ici et pas ailleurs, Clénia avait commencé à se poser des questions. Attendait-il quelqu'un ? Pourquoi était-il si calme ? Avec qui allait-il partager son énorme pot de pop-corn qu'il avait déposé sur le siège voisin ? Le fameux siège, qui en fait, se trouvait être le seul siège qui les séparait, l'un de l'autre.
Avant même que le film ne commence, Clénia regrettait déjà de s'être assise là, et surtout, d'être venue dans ce cinéma.
** *** **
Du fond de la salle, Maitre Holzer venait de prendre place à une table qui lui convenait parfaitement. Il pouvait avec facilité observer l'intégralité de l'espace, les personnes qui s'y trouvaient, tout en voyant avec clarté l'écoulement magnifique de la fontaine qu'il aimait tant et, loin d'être le fait le plus anodin, il se trouvait près d'une des sorties du restaurant.
Lorsque la Serveuse, une jeune femme au teint blanc et au sourire si grand passa devant lui avant de s'arrêter pour lui demander ce qu'il allait prendre, il savait déjà qu'elle avait deviné ce qu'il allait prendre.
- Un café liégeois à la vanille et mousse de lait au caramel, cette fois encore Egg ? demanda-t-elle avec ce sourire qui l'avait toujours charmée.
- Oui, comme toujours, merci Laure.
Laure était l'une des rares personnes de son entourage proche qui l'appelait encore comme ça, et il faut dire que pour rien au monde il lui aurait demandé d'arrêter. Maître Holzer, de son prénom Eggert connaissait Laure depuis le premier jour. Durant ses débuts, Holzer avait eu comme cliente Madame Mourlon.
Cette dernière voulait se séparer son mari, un homme sans cœur qui l'a bien trop souvent trompé et usé de sa naïveté. Il l'avait aidée à mettre en place son divorce et il avait réussi un joli coup en faisant garder à Mme Mourlon, un des biens les plus anciens que sa famille l'a légué. Une magnifique demeure, un ancien hôtel particulier qui sera des années plus tard rénovées en une somptueuse bâtisse.
Quelques semaines après le divorce, Monsieur Mourlon décéda d'une crise cardiaque et Madame Mourlon, prise soudainement d'une santé agitée remarqua finalement qu'elle était enceinte d'un homme qui ne l'avait jamais vraiment aimée. Quelques mois plus tard, l'homme qui l'avait défendu et qu'elle avait fini par surnommer Egg assista à la naissance de la petite Laure et la vit grandir assez fréquemment, comme la fille qu'il n'aura jamais eus.
** *** **
Justin Lagarde ne voulait pas y croire. Sa mère, une femme si adorable, n'avait pas encore dix-sept ans lorsqu'elle avait commencé la cocaïne. Son copain de l'époque, un certain Ronan, avait sans doute voulu ressentir quelque chose de nouveau lorsqu'il a mis enceinte ma mère avant de disparaître du décor, sans jamais se demander s'il avait enfanté ma mère ou non.
Aujourd'hui, alors qu'il rentrait du lycée, après une journée vraiment horrible, pleine d'interros et de profs chiant, il avait eu la mauvaise nouvelle de voir que sa mère n'était pas rentrée. Ça allait faire deux jours. Deux jours, et il était mort de panique à l'idée de se demander ce qui avait bien pu se passer.
Ce n'était pas la première fois qu'elle disparaissait. Et maintenant, il n'avait plus cinq ans. Mais la pire impression qu'il eut en poussant la porte du palier a été de se dire que quelqu'un est passé dans l'appartement pendant son absence.
Inutile d'aller vérifier dans sa chambre pour voir si rien n'avait été volé, puisque, les seules choses qu'il possédait, il les a vendus lors d'un vide-grenier pour payer une partie du loyer et de la came de sa mère. Ces jeux, ses figurines, quelques rares cartes Pokemon et son PC portable qu'il avait réparés dans la cave de l'immeuble avec un des voisins, tout ça avait été vendu pour une somme ringarde.
Justin se demandait seulement qui était rentré et avait donné cette odeur qui flottait dans l'appartement. Une odeur d'épice forte brûlée. Il avait aussi remarqué des traces de sang sur le mur, derrière le miroir du salon. Il ne voyait personne qui ait eu raison de rentrer chez eux et de mettre du sang dans l'appartement.
Non, il y avait une explication. Quelqu'un était rentré... Justin se pencha au niveau du sol et regarda entre le canapé et le meuble télé. Il scruta le sol, ramassa un objet fin et corrigea son analyse.
Quelqu'un est rentré dans l'appartement, et un autre la suivit. Ils se sont battus et du sang, en grosses gouttes se sont retrouvées sur le mur. Puis quelqu'un a essayé de brûler le canapé avec son mégot (pour incendier la maison ?) mais manque de chance, ce dernier est tombé au sol après avoir fondu une petite portion du canapé.
Mais cela n'explique rien de plus. Pourquoi quelqu'un serait rentré dans l'appartement. Mais n'importe qui pouvait le faire. La porte n'avait plus de loquet, Justin avait lui-même pris un tournevis un matin et l'avait démonté. La veille au soir, sa mère était rentrée, complètement abîmée par sa consommation, et avait attendu toute la nuit que son fils lui ouvre la porte. Il l'avait découvert au matin, en allant en cours, la tête appuyée sur la porte. Et il avait décidé que jamais plus elle ne dormirait sur le palier de son propre appartement.
Depuis ce jour-là, leur appartement ne se verrouille plus et n'importe qui peut y entrer sans aucune retenue...
Sa mère n'est pas repassée par ici, il en a la certitude. Et ce n'est pas elle qui aurait laissé son sang au mur. Il n'avait aucune preuve face à sa théorie mais son intuition ne se trompe que très rarement.
Si quelqu'un était venu, il était reparti bredouilles. Justin fouilla les placards, les meubles à la recherche d'indices mais rien ne lui parut étrange.
Inutile de rester ici plus longtemps, pensa-t-il, il avait plus urgent à faire et il était attendu. Hors de question qu'il arrive en retard. Il se dirigea vers sa chambre, se pencha sous le sommier, tira un sac à dos, y chargea son matériel. Un coup d'œil à l'extérieur, et il décida de prendre sa casquette, et m'y son sweat-shirt à capuche noir. Son préféré, c'était son dernier cadeau d'anniversaire que sa mère lui a acheté.
Il descendit les marches de l'escalier de l'immeuble, décida de prendre la sortie de devant pour voir si leur boîte aux lettres ne disposait pas d'un indice. Une fois devant, il passa outre les lettres des services publics qui s'empilaient innocemment dedans et n'y trouva rien de plus.
Il traversa le hall, dépassa les portes de l'immeuble, huma l'air extérieur. L'odeur propre lui changea de celle qui règne chez lui. À l'instant où il dépassa le Van du fleuriste, il sentit un regard qui était posé sur lui. Son instinct le prévenait du danger. Et comme il le savait, cela ne voulait rien dire de bon, sans oublier que son intuition est rarement bernée...
Des pas se précipitaient derrière lui au même moment où il élança sa course, il ne se retourna pas, il n'en avait pas besoin.
- Eh ! Jeune homme arrête-toi !!

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Quelques minutes avant l'arrêt
Mystery / ThrillerClélia Beaulne était une fille comme les autres. Elle venait de passer deux semaines chez son beau-père et rentrait en train. Elle avait deux heures de correspondance avant son prochain trajet et avait décidé qu'aller au cinéma passerait un peu de s...