Chapitre 35 - Dans la cour des grands

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Avec le moins de déférence du monde, les Gardes Royaux me traînèrent hors du château. Je pouvais gigoter, m'énerver, rien à faire, leur poigne était plus forte qu'une presse hydraulique. Les portes de la salle du trône finirent par se rouvrir devant moi, dans l'autre sens. Puis, libération ou manque de respect total, aucune idée, dans tous les cas je me fis lancer dans le gazon sans aucune once de douceur.

Mon aile craqua comme un arbre qui s'effondre. Je réprimai un gémissement à grands coups de serrage de dents.

— Je suis blessée ! lançai-je furibonde — à qui, je ne savais pas, car les gardes rentraient déjà impassiblement vers le château.

Ils me laissaient là, les bras ankylosés et les jambes en charpie. Tant mieux finalement, je ne voulais plus jamais qu'ils ne me touchent, ni même qu'ils ne s'approchent de moi. Mais, ah, que c'était dur de se relever... Deux mains n'étaient pas suffisantes pour me tenir les hanches, le dos, les genoux, tout en évitant que je retombe. Mon aile blessée dut me servir de béquille ; jamais je n'aurais cru lâcher autant de gros mots à la minute.

Et comme si ça ne suffisait pas, il fallait que je vive à cet instant le plus grand moment de solitude de ma jeune carrière de soldat.

J'avais quitté l'esplanade avec une centaine de soldats au grand mot. Il y en avait bien plus à présent. Avec ma sortie très peu discrète et mon allure de grand-mère, j'avais attiré l'attention... Maintenant, cent, ce serait plus le nombre de visages curieux tournés vers moi.

La main encore sur mon dos se décolla instantanément. Heureusement qu'ils ne pouvaient pas me voir rougir à cette distance. La plus droite possible et un air déterminé collé sur le visage, j'avançai vers l'esplanade. Que pouvais-je faire d'autre ? Il fallait que j'essaye de sauver les meubles.

Il y avait beaucoup, beaucoup plus de monde que lorsque j'étais entrée dans le château. A première vue, toujours aucune trace de mon groupe. Mais je n'avais pas envie de chercher plus que ça. Les soldats de l'Armée Blanche et du corps des Archers se distinguaient très bien. Face à face, tous en pseudo-rangs le long d'une allée dégagée, on les aurait dit prêts à se livrer bataille d'un instant à l'autre. Devant chaque groupe, il y avait au moins un haut-gradé – enfin, je devinais que ça en était. Des capes courtes, longues, rouges, blanches, bleues, des écharpes, des épaulettes... Un novice aurait pu se croire à un carnaval. Mais un carnaval armé. Ces fourreaux, que portaient les majors et autres officiers, je me doutais que ce n'étaient ni des bâtons, ni des massines en bois.

Parmi maintenant plus de trois cents, ou quatre cents personnes, j'eus la chance de tomber vers le centre des rangs de mon armée sur le visage de Galliem. Le doigt pointé dans la direction des Archers, il était en train de rire avec ses collègues soldats. Je courus immédiatement le rejoindre, en faisant mon possible pour ne pas que les soldats capés le remarque.

— Oh, sœurette ! s'interrompit-il goguenard. Bah alors, t'es pas avec ton groupe ? T'es dans la cour des grands, là !

J'en déduisis que j'étais en présence des autres aspirants-caporaux. Le petit groupe au complet avait reporté son attention sur moi ; j'étais légèrement forcée de donner une explication. En omettant volontairement la raison de mon expulsion du château, tout comme ce que nous nous étions dit avec la Reine, je racontai rapidement ma matinée et comment je me retrouvais seule ici. Je lus immédiatement le choc sur le visage de mes auditeurs.

— T'étais avec la Reine ? crièrent les collègues de Galliem.

— Mignoche voulait te faire descendre par les cordes avec une seule aile ? s'insurgea-t-il de son côté. Attends que j'aille cafter ça au sergent !

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant