« Second Story sunlight », Edward Hopper, 1960.
"- Mon fils, ne fait pas ça."
La voix de mon père résonne dans ma tête. Je me frappe le crâne, essayant vainement de chasser ses supplications.
«- Arrête, je t'en supplie.
-Tais-toi ! »Mon cri le fait taire. Enfin. Je marche lentement, abasourdi. Ma longue marche se termine. Voici venu la fin. Ma fin. Plus que quelques mètres. La chaleur est pesante. Le tissu est désagréable. Il me gratte. Mes bottes sont couvertes de boue. Je jette un coup d'œil à ma montre ; le cadran est cassé. Les aiguilles avancent affreusement vite. 14h. Je n'ai plus beaucoup de temps. Dans une heure, je serai mort. J'accélère et me rapproche de la lisière de la forêt. Une heure.
Il me reste soixante minutes à vivre. Soixante minutes pour rétablir une vérité enfouie. J'enjambe une dernière racine et m'appuie contre un arbre. Je suis arrivé. Devant moi, la clarté naissante et éblouissante dénote avec l'obscurité que je viens de quitter. Elle est derrière moi, à la fois si proche et tellement loin. Mes pieds me font mal. Pam. Saleté de moustique. J'écrase mon doigt sur le tronc. Le corps disloqué de l'insecte reste collé au bois. Je m'essuie sur ma combinaison rayée d'un geste rapide. MZ-324. Tel était le matricule qui m'avait été donné. Durant quatorze ans, j'avais répondu sous ce patronyme. C'est long quatorze ans. Ah, enfin. Elles sont là. Juste devant moi, sur le balcon, à seulement quelques dizaines mètres. La plus vieille n'a pas changée. Elle est toujours là, assise sur sa chaise à bascule, son journal dans les mains. Des années plus tard, je la retrouve à la même place, suivant les mouvements réguliers de la bascule. Ses cheveux sont encore plus gris, sa peau encore plus ridée. Lors de mon départ forcé, elle n'avait pas quittée son siège, elle ne m'avait pas adressé un regard. Elle avait simplement continuée de tourner les pages, comme si j'étais déjà parti. Comme si je n'avais jamais existé. Cette vieille femme est ma mère. Valérie. Pour ceux qui ne la connaissais pas, ou très peu, elle était une femme respectable, s'occupant de son ménage et élevant parfaitement ses enfants. Mais pour moi, elle incarnait la méchanceté ; elle était fourbe et manipulatrice. Une mère dont aucun enfant ne voudrait. Valérie lâche d'une main son journal et approche une paille de sa bouche. Elle boit quelques gorgées. C'est sûrement de la citronnade. Elle avait toujours bu de la citronnade. Je me redresse légèrement et sécurise mes appuis. La sensation du vent sur mon visage est agréable. Les odeurs qui m'enivre sont délicates ; je sens la sève des arbres et l'effluve printanière de leurs feuilles. Le chant des oiseaux, la couleur des bourgeons, la terre, la mousse... Je sens l'humidité des arbres qui se confond avec le reste. Qui rebondit dans l'air doux et paisible. Je vois les couleurs et les parfums du printemps qui illuminent la nature ; les pignes des pins recouvrent le sol de leurs senteurs d'ambre. Tout, dans ce sous-bois, me rappelle mon enfance. J'y avais joué innocemment. Aujourd'hui, je l'avais traversé en tant que meurtrier. Je me suis échappé. J'ai marché. Longuement marché.
Valérie lève les yeux de son journal et adresse quelques mots à la jeune femme assise sur la rambarde. Leurs regards se tournent vers l'horizon. La mer est agitée et le soleil haut dans le ciel. Ma sœur a changée. Ma mère me disait toujours qu'Eléonore était l'enfant parfaite. Ses cheveux blonds suivent les mouvements irréguliers du vent. Ses boucles s'entremêlent et viennent caresser la peau pâle de son visage. Sa chair semble briller sous le soleil éclatant. Elle est belle, et probablement mariée. Eléonore n'est jamais venue me voir. Pas une seule fois. En quatorze ans. Elle m'avait tourné le dos. A moi. Son grand frère. Celui en qui elle avait placé sa confiance. Elle n'avait demandé aucune explication. Eléonore ne connaît pas la vérité. Elle m'imagine coupable car ma mère lui a dit que je l'étais. Elle me dit meurtrier car j'ai été condamné pour un meurtre orchestré et organisé par ma propre mère. Je me rappelle de son regard vide. Vide d'amour et de compassion. J'avais crié son nom tout en essayant de me libérer de l'emprise des policiers. Je la déteste pour ça. Pour m'avoir abandonner. Je l'avais vu disparaître dans les escaliers. Puis la porte de la maison s'était rabattue. Ce fût le commencement de mon Enfer. C'était un trois mars.
VOUS LISEZ
Une heure
Short StoryEn 1960, Edward Hopper peint « Second Story sunlight ». En s'inspirant de ce tableau et sur le thème « je reviens », voici une courte nouvelle sur le thème du retour et de la vengeance. Jusqu'où seriez-vous prêt pour faire éclater la vérité ? Acco...