La mouche et la mère

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          Une mouche qui tisse un fil, c'est assez peu commun. Mais vous êtes-vous déjà dit qu'un fil qui tisse une mouche l'est encore moins ? Pour en revenir à notre mouche tisseuse, je pense qu'aujourd'hui, on peut qualifier une telle personnalité de novatrice. Novatrice car pour une fois, on aura vu une mouche tisser un fil au lieu de s'y prendre. Mais la vraie question est : comment s'y prend-elle ? De trois manières en fait. La première, elle vole jusqu'à la toile bien tissée d'une araignée de passage. C'est là les agissements de bien des mouches sans grande originalité. La seconde manière par laquelle la mouche s'y prend est des plus spéciales : c'est en effet naturellement impossible pour une mouche de tisser un fil. Là est toute l'ingéniosité de notre mouche novatrice : à tout prix elle trouvera un moyen d'arriver à ses fins, quitte à s'y prendre à plusieurs reprises. Elle pourra dès lors demander conseil et assistance à une araignée ; encore faudrait-il que celle-ci voie un quelconque intérêt à aider une mouche à tisser un fil plutôt que de l'aider à s'y prendre. La complication est donc ici de trouver une araignée intègre et loin de toute pensée détournée. La mouche pourrait également tenter, par mutations ou autres techniques compliquées, de modifier son anatomie afin d'être en mesure de tisser son fil. Nous nous demandons alors comment une mouche, si novatrice soit-elle, pourrait trouver un moyen de réaliser ceci. Mais admettons qu'elle y parvienne. Le troisième moyen pour elle de s'y prendre serait alors de s'y prendre, tout simplement. Cette solution découle néanmoins de la seconde, c'est donc un chemin plus long mais bien plus excitant que la simple recherche d'un fil appartenant à une araignée banale.

          Oui, certes. Mais quid du fil qui tisse sa mouche ? Et bien sachez que si une mouche novatrice arrive à s'y prendre de trois manières différentes pour réussir sa mission, le fil peut bien lui rendre la pareille, non ? Il doit en effet son existence à cette mouche aux idées révolutionnaires. C'est là que se pose une question de toute éternité : que doit finalement la création à son créateur ?

          Dans de nombreuses civilisations et religions, on s'est choisi une foi et une ou plusieurs divinités auxquelles on a donné le nom d'origine de toute création ; et comme l'Homme est parfaitement égocentrique, toute création fut exclusivement l'Homme. On s'est alors tournés vers notre création joliment polie et brillamment surpuissante, pour se demander comment la remercier de nous avoir créés, pondus, sortis du cul. Les esprits les plus tordus se sont emparés de la bonne idée, emmenant derrière eux une foule de gens heureux pratiquer tout un tas d'agissements ayant pour honnête ambition de les rendre heureux. Les esprits les plus simples furent donc heureux ; les esprits les plus fous, ou intelligents, ou sceptiques, appelez ça comme vous voulez tant que ça s'appelle de l'athéisme dans la bouche des gens heureux ou tordus, regardèrent cette joyeuse agitation dans une relative indifférence. La suite se complique, car les gens tordus ont bien conscience du potentiel d'une foule de gens simples et heureux, et que même fou, un indifférent sais réagir lorsqu'on s'en prend à lui, mais là n'est pas l'histoire. Comprenez que l'Homme a remercié son créateur si incroyable et puissant et grand en lui donnant une conscience et un nom. En le rendant le plus humain possible. Quel égocentrisme.

          Cependant la question de la redevance de la création envers son créateur est en fait bien plus concrète que la croyance légèrement hasardeuse en une puissance présentée supérieure. C'est à ce moment-là qu'il faut parler de la création la plus élémentaire, celle reconnue par tous les Hommes dès leurs premiers souffles, et parfois seulement lors de ces premiers souffles. Car l'exemple le plus concret que l'on puisse trouver, l'exemple le plus universellement personnel qui existe, est bel et bien celui de la figure parentale, et plus précisément, celle de la mère. La mère est la créatrice ultime, puisqu'elle crée l'humain. Encore une fois, notez l'égocentrisme. Cette créatrice ultime, ainsi, provoque passions et promesses chez bien des gens. L'enfant saura tôt ou, pour certains, plus tard, qu'il a une mère et son rôle dans sa vie. Dans ce cas, ressent-il lui aussi le besoin pressant, comme les tordus et les gens simples, de rendre gloire à sa mère, de l'honorer, de la respecter à tout prix... etc. ? Eh bien ça dépend de la relation qu'il entretien avec elle. Car les gens fous, intelligents ou sceptiques sont-ils blâmables s'ils ne déifient pas leur mère ? Ceux qui le font sont-ils nécessairement tordus ou simples ? Peut-on connaître le chemin de réflexion qui explique les actes de chaque être humain ? Non. Tout comme on ne sait pas ce qui pousse une mouche à vouloir tisser un fil, on ne sait pas ce qui pousse des gens à mettre un collier, un chapeau ou à enlever ses chaussures, et d'autres à ne pas le faire. Il y a des hypothèses, bien sûr, des pistes, mais il y en a plus de sept milliards et c'est beaucoup trop pour que je m'y intéresse. Toi, peut-être, moi, certainement pas. Je m'arrête ici sur ce point, celui-là.

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⏰ Last updated: Nov 02, 2019 ⏰

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