Chapitre 2

13 2 0
                                    

Lorsque sa respiration se fut calmée, Ryan rouvrit les yeux et se releva. Il en voulait à Tom d'avoir à nouveau évoqué cette histoire. Pourquoi devait-il en parler chaque fois qu'ils se retrouvaient ? L'incident avait certes bouleversé leurs vies, mais ne pouvaient-ils pas avancer ensemble sans plus tenir compte du passé ? Leur ami était mort et cela les avait profondément marqués, mais que pouvaient-ils faire ? Ryan estimait qu'il vivait suffisamment de scènes douloureuses lors de ses cauchemars pour ne pas avoir à les revivre la journée. Il secoua la tête, avala un verre d'eau et se coucha sans manger. La conversation qu'il avait eue avec ses amis lui avait coupé l'appétit.

Il se réveilla en sueur à 4 h du matin, haletant. Les images continuaient de flotter devant ses yeux, se dessinant en formes indistinctes sur les murs de sa chambre. L'eau...L'arbre...Il tenta de les chasser. En vain. Les silhouettes menaçantes continuaient d'envahir sa chambre. Il sentit la sueur couler sur son front, goutter sur son tee-shirt. Il tremblait de tout son corps, son cœur cognait sa poitrine. Elles étaient là quand il fermait les yeux, quand il les gardait ouverts. Il les voyait se rapprocher de lui en ricanant de leur bouche édentée. Près de l'eau, près de l'arbre. Il secoua la tête et alluma la lumière. Aussitôt, tout disparut. Il était seul dans sa chambre. Le cœur battant, le souffle court, il se leva, enfila les premiers vêtements qui lui tombaient sous la main et quitta son appartement. Il avait besoin de prendre l'air.

Dès qu'il sortit, les odeurs d'égouts le prirent à la gorge et lui firent froncer le nez. Il retint son souffle et continua de marcher jusqu'à ne plus les sentir. Des groupes d'étudiants, probablement ivres, parlaient fort et riaient sans se soucier des autres. Des couples s'enlaçaient, s'embrassaient. Des enfants couraient dans les rues en riant. Ryan les contemplait avec une douleur sans nom. Leur bonheur ne faisait que le ramener à sa propre solitude. Il sentit sa gorge se serrer, les larmes lui piquer les yeux. Il fit de son mieux pour les refouler. Il avait des amis, mais le secret qu'il gardait en lui depuis des années les séparait chaque jour un peu plus. Ses amis avaient su l'incident sans y avoir été mêlés, ils ne s'en préoccupaient plus, vivaient au jour le jour, avaient des collègues, une famille. Ryan n'y parvenait pas. Il était écrasé par le poids de son passé, étouffé par la culpabilité. Il n'était pas dans le présent et s'interdisait de penser à l'avenir. Vingt ans s'étaient écoulés et il n'avait pas réussi à oublier l'accident. C'était pour cette raison qu'il ne souhaitait plus aborder le sujet avec ses amis. Chaque fois qu'il les voyait et qu'ils en parlaient, les mots qu'il n'avait jamais réussi à leur dire venaient heurter violemment ses lèvres closes et il devait faire appel à toute sa concentration pour ne pas les laisser s'échapper. A ce moment, la culpabilité déjà forte s'amplifiait encore jusqu'à devenir insoutenable. Il secoua la tête pour chasser ses pensées et redescendit la rue Vannerie jusqu'à croiser la rue Jeannin. Il tourna à droite et continua un moment, avant de tourner à nouveau dans la rue Lamonnoye, jusqu'à trouver le lieu qu'il affectionnait particulièrement : le square des Ducs. Entouré d'immenses bâtisses en pierre et ombragé par de hauts arbres, ce square couvert de verdure était agrémenté d'allées en pierre et d'un bassin ovale décoré de sculptures. Un lieu calme, propice à la méditation.

Ryan s'assit sur un banc, face au bassin, et observa pensivement les fils d'argent que la lune déposait à la surface de l'eau. Les senteurs de l'herbe humide avaient remplacé l'odeur âcre des égouts. Ryan venait souvent ici lorsqu'il ne dormait pas. La nuit, personne ne venait le déranger : les hommes dormaient et les fantômes fuyaient la poésie du lieu. C'était sans nul doute l'unique endroit où il se sentait bien, en particulier lorsqu'il pouvait y être seul. Il ne sut pas combien de temps il resta là, à observer les reflets moirés du bassin. Lorsqu'il se décida à partir, le jour se levait.

Il arriva chez lui à 6 h et s'autorisa enfin un court moment de repos. Très court : son portable sonna une heure plus tard. Il l'éteignit en grognant et referma les yeux pendant quelques secondes. La fatigue qui avait refusé d'être là durant la nuit s'abattait soudain sur lui. Il peinait à ouvrir les yeux. Il bâilla, s'étira et finit par se redresser, encore endormi. Il traîna les pieds jusqu'à la salle de bains et s'aspergea le visage d'eau fraîche, avant de revenir s'habiller dans sa chambre. Puis, il déjeuna, comme à son habitude, un café très fort pour tenter de se réveiller. Il avait des messages, ses amis s'excusaient pour la veille, ils ne voulaient pas le blesser. Ils lui proposent un nouveau rendez-vous sans parler du passé, est-il d'accord ? Ryan secoua la tête en soupirant et répondit par la négative, prétextant des copies à corriger. Il les connaissait malheureusement trop bien...Alcool, rires, plaisanteries, ces soirées se terminaient toujours par l'évocation du passé. Et Ryan n'en avait plus envie. Surtout après l'insomnie qu'il venait d'avoir. Il avait besoin de se détendre, de se reposer. Il termina son café, enfila son manteau et sortit. Une fois en bas, comme tous les matins, il vérifia son courrier. Une seule enveloppe avait été posée dans sa boîte aux lettres. Il la rangea dans sa sacoche, prit une profonde inspiration et se prépara une fois de plus à plonger dans les flots citadins.

Le secret des Dumont [La Grande Dictée 2e jet]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant