Le samedi, Ryan sursauta lorsque des coups furent frappés à sa porte. Il déglutit, ferma les yeux et s'efforça de respirer calmement. Il n'attendait personne et savait donc qui se trouvait derrière la porte. Il se leva finalement et s'avança dans l'entrée.
Lorsqu'il ouvrit, les yeux verts de l'adolescent le frappèrent de plein fouet. Sous le choc, il recula d'un pas. Il ne pouvait plus nier la vérité, désormais. Tristan était le petit frère d'Alexis Dumont. Son meilleur ami, mort vingt ans auparavant. Ryan sentit son cœur cogner sa poitrine, tandis qu'il contemplait la copie presque conforme de son ami disparu. Le jeune homme ne sourit pas et ne le salua pas, se contentant de le regarder en silence. Ryan déglutit et finit par s'écarter pour le laisser rentrer. Sa gorge était sèche. Lorsqu'il lâcha la poignée de la porte après avoir refermé cette dernière, il s'aperçut que ses mains tremblaient. Il les enfouit dans ses poches pour dissimuler son trouble et invita Tristan à s'installer, avant d'aller chercher deux verres d'eau dans la cuisine. Une fois la porte de celle-ci fermée, il s'y adossa et s'efforça de reprendre son souffle. Se calmer. Respirer. Il n'avait pas pensé un seul instant à ce détail. Lorsqu'il avait accepté d'aider Tristan – en se mentant à lui-même pour se convaincre qu'il n'avait aucun lien avec Alexis –, il n'avait pas imaginé que l'adolescent lui ressemblerait à ce point. C'était comme si Alexis était revenu. Comme s'il n'était pas mort. Cette pensée le fit frissonner.
Il souffla, secoua la tête et s'aspergea le visage d'eau fraîche pour recouvrer ses esprits. Il ne devait pas laisser la panique le dominer. Il s'essuya, plaqua un sourire sur son visage et retourna dans le salon avec les deux verres.
Tristan ne lui rendit pas son sourire, ce qui eut pour effet d'effacer celui de Ryan. La tâche s'avérait encore plus compliquée qu'il ne le craignait. Il soupira : il commençait à regretter d'avoir accepté cette mission.
Il parvint toutefois à garder son calme et sortit l'un de ses livres de sa bibliothèque. L'Œuvre, de Zola. L'un de ses romans favoris. Il choisit au hasard le passage où Claude, le personnage principal, trouve devant sa porte Christine, qui deviendra son modèle pour un tableau. Il commença à dicter, mais la voix de Tristan l'interrompit soudain. Un simple « Non » prononcé d'un ton ferme. Surpris, Ryan releva la tête et son regard croisa celui de Tristan.
-Quoi, non ?
Il vit l'adolescent secouer la tête.
-Je ne veux pas écrire ce passage.
Ryan se retint de soupirer et reposa le livre.
-Et quel passage veux-tu écrire, dans ce cas ?
Le sourire de Tristan le fit frissonner. C'était un sourire mauvais, presque diabolique. Un sourire qui donnait des sueurs froides...
-Le passage de la mort de Claude.
Il l'avait dit d'un ton très calme ; pourtant, Ryan ne put s'empêcher de frémir à nouveau. L'extrait dont parlait Tristan était sans nul doute le pire du roman de Zola, le plus sombre, horrible par le réalisme de la description. Ryan déglutit, mais se rendit à la fin du livre et reprit sa dictée. A mesure qu'il dictait, il sentait sa gorge s'assécher, la sueur perler sur son front. La description du suicide de Claude devant sa peinture inachevée résonnait dans le silence de son appartement et la scène se dessinait progressivement devant ses yeux, sans qu'il ne pût la chasser. Il ne pouvait s'empêcher de se demander ce qui avait poussé Tristan à choisir ce passage. N'importe quel adolescent sensé aurait choisi l'incipit, avec la description de Paris, ou la scène de la rencontre entre Claude et Christine, ou encore les scènes explorant leur amour. Pourquoi donc Tristan avait-il choisi la mort de Claude ?
Ryan fut tiré de ses songes par un raclement de gorge. Il frémit et reporta son attention sur son élève. Celui-ci le regardait attentivement, comme s'il guettait sa réaction. Un sourire s'était dessiné sur ses lèvres et Ryan eut soudain l'impression d'être une gazelle prise dans les griffes d'un lion. Il était maintenant certain que l'adolescent n'avait pas choisi l'extrait de L'Œuvre au hasard. C'était un test. Ce n'était pas une simple leçon, c'était un combat. Ryan se redressa et serra les dents. Il ne se laisserait pas intimider par son élève.
Il prit la copie, la lut, constata l'absence de fautes. Ensuite, les textes s'enchaînèrent et Ryan refusa de laisser Tristan choisir les extraits, lui intimant de partir s'il souhaitait imposer sa loi. Il y eut un affrontement de regards au cours duquel le sourire de l'adolescent s'était brusquement effacé, mais il était resté. Et les dictées avaient repris. Toutes sans fautes.
Lorsqu'ils prirent congé, Ryan demanda à Tristan de ne pas l'appeler. C'était lui qui le contacterait pour lui donner sa réponse. Lui dire s'il continuait ou non les leçons avec lui. Tristan lui adressa un sourire sans joie.
-Vous ne me contacterez pas. Aucun enseignant ne m'a jamais rappelé après un cours particulier, je ne vois pas pourquoi vous feriez exception à la règle. Je connais la rengaine, alors ne vous fatiguez pas.
Ryan serra les dents.
-C'est à moi d'en décider, déclara-t-il sèchement.
Il vit Tristan hausser lesépaules, avant de partir sans se retourner. Il ferma la porte et soupira. Laleçon l'avait épuisé. Il revint au salon, se laissa tomber dans son canapé etréfléchit. Dire que Tristan n'était pas un adolescent facile était uneuphémisme. Si Ryan acceptait de l'aider, il allait devoir faire preuved'autorité, ce qui ne lui plaisait pas. Il n'était ni son père ni sonprofesseur ni même un agent de police, il refusait de se battre contre lui.D'un autre côté, Tristan parvenait à tenir le rythme sans jamais faire aucunefaute, ce qui relevait de l'exploit. Ryan tenait une pépite entre ses doigts,une pépite qui, il le sentait, pouvait devenir une bombe à tout moment...
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Le secret des Dumont [La Grande Dictée 2e jet]
AventuraRyan tente vainement d'oublier un événement traumatique qu'il a vécu dans son passé. Mais lorsqu'il doit préparer le jeune Tristan Dumont à la Grande Dictée, les fantômes reviennent le hanter...