Chapitre 5

5 1 0
                                    

Ryan n'aimait pas être en retard. Depuis qu'il était petit, il arrivait toujours à l'heure, voire en avance, à n'importe quel rendez-vous. C'était une règle qu'il s'était imposée et il ne supportait pas de devoir y déroger. Alors, lorsque le professeur principal de Tristan l'avait appelé la veille pour un rendez-vous à 18 h avec la mère de l'adolescent, il avait quitté l'université une heure avant. Il mangea rapidement chez lui, prit quelques notes sur le comportement de Tristan depuis qu'il l'aidait, saisit ses clefs de voiture et partit.

Mais lorsqu'il arriva en bas de son immeuble, il se figea, bouche-bée d'horreur. Ce n'était pas possible. Ça ne pouvait pas arriver, pas à lui, pas maintenant !

Face à lui, la carrosserie bleu nuit était striée de longues et fines rayures blanches. Les quatre pneus avaient été crevés.

Ryan resta un moment immobile, sous le choc, puis il frappa violemment le capot du poing en poussant un juron. La voiture ne broncha pas. Furieux, il serra les poings et partit à grandes enjambées. La journée se terminait très mal...

Il n'utilisait jamais sa voiture. Jamais. Pourquoi fallait-il qu'on la détériorât la seule fois où il en avait besoin ? Il soupira et se rendit à l'arrêt de tramway le plus proche, l'arrêt « Darcy », situé sur la place. Bien évidemment, le tramway n'arrivait que dans vingt minutes à cause d'un problème sur la voie. Il était 17 h 40, Ryan mettait environ un quart d'heure pour arriver au lycée Les Arcades. Il était épuisé et aurait voulu éviter de marcher, mais il n'avait pas le choix. S'efforçant de respirer profondément pour se calmer, il se mit en route. Sur le trajet, il rumina un moment sa colère, avant de contacter l'enseignant de Tristan pour le prévenir de la situation. Il savait qu'il s'agissait sans doute d'une bande de jeunes qui n'avaient rien trouvé d'autre pour s'amuser, mais la situation le mettait tout de même en colère.

Il arriva, comme il l'avait prévu, à 17 h 55. Le lycée privé Les Arcades où était scolarisé Tristan se situait au centre-ville, mais l'incident de la voiture de Ryan et la vérification du tramway l'avaient retardé.

Le lycée était une immense bâtisse en pierre, dont les portes peintes en vert sapin donnaient sur une cour tout aussi imposante. Les multiples fenêtres étaient ornées de volets blanc cassé et le bâtiment de gauche avait la forme d'une chapelle. Il était organisé sur deux étages. Lorsque Ryan entra, l'odeur de peinture le saisit. Elle s'expliquait par les murs fraîchement repeints du hall d'entrée. Un escabeau et des pots de peinture blanche avaient été laissés devant, protégés par un ruban qui délimitait l'espace comme pour une scène de crime, ainsi qu'un panneau jaune qui indiquait de ne pas pénétrer la zone. Devant cet espace interdit, un homme et une femme l'attendaient. L'homme était grand, il avait des cheveux gris et des yeux bleus qui adressaient un regard doux derrière ses lunettes. Plus petite, la femme avait des cheveux noirs coupés en carré. Ils le saluèrent lorsqu'il s'approcha d'eux. Ryan les suivit jusqu'au bureau de l'enseignant, au deuxième étage. Ils échangèrent pendant presque deux heures à propos de Tristan, de son comportement. En le voyant, la femme avait frémi, mais n'avait rien laissé paraître. Ils parlèrent de l'avenir de Tristan, de ses notes qui ne s'amélioraient pas, de son manque de communication et de participation. Ryan resta ferme : Tristan avait un don pour le français et il était bien décidé à l'aider. Il apprit que son élève était toujours seul en classe et pendant les intercours, qu'il ne se mêlait jamais aux autres, ne riait jamais, ne prononçait presque pas le moindre mot. Cette nouvelle le désola. Mais comme l'enseignant ignorait visiblement le drame qui avait frappé la famille Dumont, il fit mine de ne pas comprendre le comportement de Tristan, ajoutant qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour l'aider. Puis, ils prirent congé. La porte se referma et Ryan se retrouva dans le couloir en compagnie de Mme Dumont. Ils marchèrent ensemble jusqu'à la sortie, échangeant à propos de Tristan. Ryan lui apprit la dégradation de sa voiture, ajoutant qu'il n'avait aucune preuve de l'identité du coupable. Il y eut un silence : ils craignaient l'un et l'autre de la deviner. Devant le lycée, ils se séparèrent. Ryan reprit sa route jusqu'à l'arrêt de tramway, bouleversé par les événements.

-M. Amarro ?

Ryan s'immobilisa et se retourna. La peur et le désespoir qu'il lut dans les yeux de Mme Dumont le frappèrent de plein fouet.

-J'ai déjà perdu un fils. Je refuse d'en perdre un deuxième.

Il déglutit, la gorge sèche.

-Je le protègerai, vous avez ma parole.

Elle hocha la tête, visiblement rassurée, et ils reprirent chacun leur route. Ryan choisit de rentrer à pied : il avait besoin de marcher. Il n'avait pas eu le courage de lui dire qu'elle commettait une grave erreur. Elle le rendait complice d'un délinquant ; il risquait beaucoup si l'identité de Tristan était découverte. Mais il n'avait rien dit. Il avait accepté de le couvrir.

Il continuait de marcher, s'efforçant de piétiner ses problèmes et les pavés, frissonnant sous le vent froid du soir. Le soleil éclairait encore la ville malgré l'heure tardive. Des gens étaient attablés en terrasse, certains profitaient même de la dernière heure d'ouverture des magasins. Ryan continua d'avancer sans plus prêter attention à ce qui l'entourait. Sa voiture abîmée et maintenant, sa promesse de protéger Tristan...Tout cela commençait à faire beaucoup pour lui. Il n'avait qu'une envie : arriver chez lui et dormir.

Son souhait ne fut pas exaucé.Lorsqu'il arriva devant son immeuble, il vit que Tristan l'attendait dans lehall.

Le secret des Dumont [La Grande Dictée 2e jet]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant