La littérature servait toujours. Décortiquer les œuvres et les phrases, comprendre leur sens, tout cela était utile dans la vie quotidienne, Ryan s'en rendait compte, à présent. Les gens avaient ri en lisant le premier tag. Lui ne l'avait pas trouvé drôle, parce qu'il l'avait analysé, décortiqué pour en comprendre le sens. Il avait fait la même chose pour le deuxième tag et il en avait sorti un sens plus profond que le premier qui restait comique aux yeux des gens. Si Tristan n'avait écrit que le début – « Fini, c'est fini » –, Ryan aurait perdu tout espoir de le revoir un jour. Mais il avait écrit la suite : « ça va finir » qui exprimait une action non réalisée, et « ça va peut-être finir » qui montrait une hypothèse, une incertitude. Une chose était donc sûre : Tristan n'était pas mort. A cette heure, il était peut-être même chez ses parents, en train de sourire de la réaction de Ryan. Celui-ci secoua la tête et rentra chez lui – l'université était fermée jusqu'à ce que les vitres fussent changées et le tag, effacé. Les cours étaient annulés ce jour-là, mais ils reprendraient dès le lendemain dans l'un des préfabriqués situés en face, près de la bibliothèque universitaire. Ryan en soupirait d'avance ; il détestait les préfabriqués. Des cubes de bois enfoncés dans la terre et dans lesquels la lumière ne passait presque jamais...Enseigner dans ces conditions était pour lui un enfer.
Il ne savait plus à quel moment l'enfer avait commencé. Etait-ce au moment où il avait vu le nom de Tristan sur la lettre du directeur ? Ou bien au moment où il avait accepté d'aider l'adolescent ? A moins que ce ne fût lorsqu'il avait vu Tristan pour la première fois ? Il ne savait plus. Mais l'enfer avait commencé et la barque de Charon semblait ne plus vouloir s'arrêter.
Son appartement lui parut vide et froid, sans qu'il ne comprît pourquoi. Il mit un long moment à réaliser que c'était la présence de Tristan qui, malgré ses silences renfermés, le rendait plus chaleureux. Ryan frissonna. Il savait que l'adolescent ne reviendrait pas et cette pensée le rongeait plus qu'il ne l'aurait voulu. Il espérait seulement qu'il était en sécurité chez ses parents.
Il se laissa tomber dans son canapé et enfouit son visage dans ses mains en poussant un profond soupir. Il en avait assez de culpabiliser par rapport aux Dumont. D'abord Alexis, maintenant Tristan...Pourquoi devait-il porter la responsabilité des deux frères ?
On était le 28 mars, la Grande Dictée avait lieu dans une vingtaine de jours et Ryan était plus désespéré que jamais. Avait-il commis une erreur en acceptant d'aider Tristan ? Il s'était douté que ce serait difficile le jour où il l'avait rencontré. Il n'avait pas imaginé que ce serait à ce point. Il soupira et laissa son regard se promener sur sa bibliothèque – il avait toujours aimé contempler ses livres. Ses yeux s'arrêtèrent soudain sur Germinal de Zola, puis sur Comme un roman de Daniel Pennac. S'il était extrêmement désorganisé, voire négligent en ce qui concernait son appartement et ses vêtements, il ne l'était en revanche pas du tout pour ses livres. Dans sa bibliothèque, ceux-ci étaient toujours très bien rangés, classés par ordre alphabétique de titre pour pouvoir les retrouver plus facilement. Que Germinal fût placé avant Comme un roman n'était donc pas normal. Ryan fronça les sourcils et se releva pour s'approcher de sa bibliothèque. Vus d'ici, les deux ouvrages ne présentaient, hormis leur changement de place, aucune différence d'avec les autres livres. Mais s'ils avaient été inversés, c'était qu'il y avait une raison. Le cœur battant, Ryan les prit et alla se rassoir sur le canapé. Puis, il inspira profondément et les feuilleta. Il finit par trouver, dans chacun d'eux, un morceau de papier. Ses doigts tremblants eurent du mal à les déplier. Sur le premier était inscrit une date : lundi 13 avril. Trois jours avant la Grande Dictée. Sur le second, une heure : 23 h. Ryan reconnut aussitôt l'écriture de Tristan. Son cœur s'accéléra. L'adolescent avait dû prévoir sa fuite depuis longtemps. Ryan l'imaginait glissant des morceaux de papier dans des livres à son insu. S'il avait fait ça, c'était qu'il n'allait pas se suicider. Il voulait être retrouvé, Ryan en avait désormais la certitude.
La sonnerie de son portable le fit soudain sursauter. C'était un numéro qu'il ne connaissait pas. Méfiant, il décrocha.
-M. Amarro ? Je m'excuse de vous déranger. Je suis Arthur Dumont. Le père de Tristan.
Ryan déglutit à ces mots.
-Je vous appelle parce que cela fait trois jours que Tristan n'est pas rentré. Je ne vous ai pas appelé tout de suite, parce que nous croyions qu'il allait revenir, mais ça ne s'est pas produit. Nous pensions...qu'il était peut-être chez vous ?
-Je suis désolé, M. Dumont, répondit doucement Ryan. Il n'est pas revenu chez moi depuis mardi dernier. Mais il semblerait qu'il ait laissé...des indices à mon attention.
-Comme les tags sur l'Université de Bourgogne et le mur d'un immeuble ? Je les ai vus aux informations.
-Oui. L'immeuble en question est le mien et je suis professeur à l'Université de Bourgogne. J'ai par ailleurs retrouvé une date et une heure sur des papiers dans des livres de ma bibliothèque. Je vous promets que je vais poursuivre mes recherches.
-Je vous remercie. Prévenez-moi si vous avez du nouveau.
-Je n'y manquerai pas.
Ryan raccrocha et reporta son attention sur les morceaux de papier. Qu'allait-il bien pouvoir se passer le lundi 13 avril à 23 h ? Pourquoi Tristan lui avait-il laissé ces indices ? Son immeuble, son université, et maintenant ses livres...Il comprenait de moins en moins. Qu'avait-il bien pu se passer dans la tête de l'adolescent pour qu'il s'intéressât soudain à lui ? Par la voie littéraire, de surcroît...Il avait bien senti que Tristan n'éprouvait aucun plaisir à venir chez lui pour les dictées. Il était renfermé, lui adressait à peine un mot et semblait n'éprouver pour lui qu'un profond mépris. Alors pourquoi ce revirement soudain ?
Ryan secoua la tête en soupirant. Même absent, Tristan l'épuisait. Pourtant, il savait au plus profond de lui-même qu'il ne renoncerait pas. Malgré son caractère renfermé, l'adolescent avait un potentiel littéraire que même la plupart des adultes ne possédaient pas. Ryan n'était pas prêt à l'abandonner.
Son regard se reporta sur le papier. Il ne savait plus s'il avait hâte ou non d'être au 13 avril.
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Le secret des Dumont [La Grande Dictée 2e jet]
AventuraRyan tente vainement d'oublier un événement traumatique qu'il a vécu dans son passé. Mais lorsqu'il doit préparer le jeune Tristan Dumont à la Grande Dictée, les fantômes reviennent le hanter...