Sous le choc, Ryan était resté immobile dans la rue, appuyé contre le mur. Les deux hypothèses étaient tout aussi plausibles l'une que l'autre, mais la seconde le terrifiait. Il ne savait pas ce qu'il devait faire, à présent qu'il était là. Aller voir le nom sur la sonnette ? Sonner et voir qui répondrait ? Il frissonna à cette pensée. Et si c'était Tristan ? Et si ce n'était pas lui ? Il ne savait plus quelle hypothèse était la pire...
La directrice de son université l'avait déjà appelé une heure auparavant, alors qu'il suivait l'adolescent, pour lui demander la raison de son absence. Chuchotant pour ne pas attirer l'attention du jeune homme, il avait prétexté une extinction de voix, ajoutant qu'il espérait pouvoir revenir le lendemain. Il dut être crédible, parce que la directrice n'insista pas, se contentant de lui dire qu'elle notait son absence. Il la remercia et raccrocha, avant de reporter son attention sur l'immeuble d'Alexis. Y aller ? Ne pas y aller ? Sonner ? Ne pas sonner ? Il ne parvenait pas à se décider.
Il ne sut pas combien de temps il demeura ainsi immobile devant l'immeuble de son ami défunt. Finalement, il renonça et repartit d'où il était venu. En supposant que le garçon lui eût ouvert, il n'était pas certain de supporter la vision de l'appartement. Il se souvenait de chaque détail de ce lieu, comme s'il ne l'avait jamais quitté. C'était un petit studio d'étudiant, plus petit que tout ce que Ryan avait pu avoir dans sa jeunesse. Un placard à droite de la porte d'entrée. Alignés derrière le placard, un lit et un bureau. En face de la porte se trouvaient deux grandes fenêtres, au-dessus d'un radiateur et d'une petite table qui longeait une kitchenette équipée. Ryan se souvenait des odeurs d'alcool et de cigarette qui régnaient dans ce studio lorsque Tom et Emma fumaient à la fenêtre. De la musique qui s'échappait de l'ordinateur d'Alexis. Des baisers échangés à la faveur de l'obscurité – seuls Ryan et Emma avaient échappé à l'éphémérité du flirt. Il se souvenait du ravissement de chacun face aux talents culinaires d'Alexis. Son cœur se serra. Oui, en se retrouvant devant l'immeuble de son ami, tout lui était revenu et il ignorait si c'était une bonne chose. Peut-être valait-il mieux oublier. Le souvenir de la mort d'Alexis était déjà suffisamment douloureux...
Lorsqu'il rentra chez lui, son regard se posa sur les papiers qu'il avait commencé de trier. Il fut soudain soulagé d'avoir obtenu sa journée ; jamais il n'aurait eu le courage d'effectuer ce tri en rentrant d'une journée de cours. Tandis qu'il se préparait un nouveau café, il repensa à l'adolescent qu'il avait suivi. Il avait presque le sentiment de l'avoir rêvé. Peut-être n'était-ce qu'une hallucination, pas au sens où il n'aurait suivi personne, mais au sens où il désirait tellement retrouver Tristan qu'il le voyait partout. Il ne savait plus. Soudain lassé de tout ce qu'il vivait en ce moment, il soupira et prit son portable.
Tristan a disparu depuis plusieurs jours. Je crois qu'il m'a laissé des messages, mais je n'arrive pas à tous les retrouver. Accepteriez-vous de m'aider ?
Les réponses ne se firent pas attendre. Celle de Sam, tout d'abord, puis celle d'Emma. Vinrent ensuite celle de Leslie et, plus tardivement, celle de Tom. Toutes étaient positives. Pour la première fois depuis la fugue de Tristan, Ryan ressentit un profond soulagement. Ses amis ne l'avaient pas abandonné. Leslie lui proposa 19 h, après son travail. Ryan transféra son message aux autres, qui acceptèrent. En attendant 19 h, il reprit sa vérification de la troisième rangée de sa bibliothèque. Livre après livre, page après page, il voyageait dans les romans sans trouver le moindre trésor.
Lorsque son interphone sonna, il avait terminé la cinquième rangée. Il n'en avait plus que cinq à regarder. Il abandonna pour un temps ses recherches et alla répondre. A peine eut-il prononcé un mot que plusieurs voix répondirent « Surprise ! ». Ryan éclata de rire et leur ouvrit. Bientôt, des pas résonnèrent dans les escaliers et on frappa à sa porte. Il ouvrit et se retrouva face au sourire radieux de ses amis. Emma portait un plat rectangulaire recouvert d'un torchon, Sam avait apporté une bouteille de cidre et Tom avait préparé un dessert. Lorsqu'ils furent tous installés au salon, Ryan leur exposa la situation. Deux d'entre eux devraient finir de vérifier les papiers du bureau, deux autres continueraient de chercher dans les quatre rangées de livres que Ryan n'avait pas fini de regarder et lui s'occuperait du dernier rayon. Le groupe s'organisa sous la direction d'Emma. Tom serait chargé des deux premières rangées et elle-même des deux suivantes, tandis que Sam et Leslie se concentreraient sur le bureau.
Ils cherchèrent ainsi pendant une heure, sans rien trouver. Vers 20 h, ils se mirent à table et évoquèrent les Dumont. Ryan parla de Tristan, de son comportement étrange, voire effrayant. Ses amis acquiescèrent gravement : tout comme lui, ils redoutaient les conséquences du silence de ses parents.
-Ryan ? Je...Je crois que j'ai quelque chose.
Ils avaient repris leurs recherches et Leslie venait de briser le silence qui s'était installé. Ryan abandonna son rayon et se releva lentement. Il se tourna vers son amie, tandis que tous les autres se figeaient autour d'eux. La jeune femme tenait un livre à la main, dont l'une des pages était cornée. Ryan s'approcha d'elle, elle lui tendit le volume. C'était le recueil Les Rayons et les ombres de Victor Hugo. Le cœur battant à tout rompre, Ryan l'ouvrit à la page cornée. Un poème avait été souligné.
« Moi, c'est là que je vis ! – cueillant les roses blanches,
Consolant les tombeaux délaissés trop longtemps,
Je passe et je reviens, je dérange les branches,
Je fais du bruit dans l'herbe et les morts sont contents. »
C'était le poème « Dans le cimetière de *** ». Tristan était donc au cimetière. Pourtant, Ryan ne comprenait pas. Il s'y était rendu et il n'y avait vu personne. Qu'est-ce que cela signifiait ?
-Et ça, Ryan ? Tu l'as depuis longtemps ?
Ryan se retourna vers Tom, qui tenait entre les mains les deux morceaux de papier sur lesquels étaient inscrites une date et une heure : lundi 13 avril, 23 h.
-Deux jours, avoua-t-il.
Ses amis le regardèrent d'un air consterné. Il secoua la tête, avoua son incompréhension. Emma finit par lui expliquer ce qu'ils en avaient déduit, ce qu'il aurait dû en déduire. Alors, seulement, Ryan comprit. Il comprit pourquoi il n'avait pas vu Tristan au cimetière la dernière fois qu'il y était allé. Ce n'était pas qu'il s'était trompé de cimetière – car Alexis reposait bel et bien au cimetière intercommunal et non au grand cimetière des Péjoces. C'était qu'il s'était trompé de date. Il n'y avait en effet personne au cimetière la veille. Tristan ne se rendrait là-bas que le lundi 13 avril à 23 h, comme indiqué sur les papiers.
Ryan regarda ses amis, leursourit et les remercia. Il avait pris sa décision. Il continuerait de chercherle plus d'indices possibles. Mais le lundi 13 avril, à 23 h précises, il seraitau cimetière intercommunal.
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Le secret des Dumont [La Grande Dictée 2e jet]
PertualanganRyan tente vainement d'oublier un événement traumatique qu'il a vécu dans son passé. Mais lorsqu'il doit préparer le jeune Tristan Dumont à la Grande Dictée, les fantômes reviennent le hanter...